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Les champs de bataille

Les champs de bataille

Titel: Les champs de bataille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Dan Franck
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ne me souviens pas, bredouille Hardy.
    — Comme c’est étrange ! Et la femme au corsage rouge, vous souvenez-vous d’elle ?
    — Affabulation, réplique Hardy.
    — Elle monte derrière vous dans le funiculaire. Elle vous suit quand vous en descendez pour prendre le tramway 33… »
    Se dégageant du nœud qui l’enserre, l’inculpé se rebiffe soudain. Il crie presque :
    « Vous allez prétendre que c’est moi qui ai trahi la réunion de Caluire ?
    — Pas encore, réplique le juge. Je n’en suis pas là.
    — Si votre bonne amie a informé ses copains de la Résistance, on peut savoir pourquoi aucun d’eux n’a prévenu ? Pourquoi on a laissé cette réunion se tenir ?
    — Il était trop tard pour l’empêcher. »
    Hardy quitte sa chaise, s’approche de la table et pose ses poings refermés sur le plateau. A quelques pas, le greffier soulève ses boutons de manchettes de son clavier.
    « Je vous fais la suite du scénario. Cette filleredescend, retrouve Barbie et sa petite troupe, conduit tout ce joli monde jusqu’à la maison du docteur… Là où Max vient d’arriver. Comment pouvez-vous accorder du crédit à cette histoire et m’accuser en même temps d’avoir livré Moulin ?
    — La fille vous suivait. »
    Hardy retrouve sa chaise. Il croise les bras et observe silencieusement son interlocuteur. Lequel ne bouge pas d’un pouce, laissant le silence se prolonger. C’est Hardy qui finit par le rompre. Très sûr de lui, il annonce :
    « Vous n’êtes pas sans savoir que je dispose d’un alibi qui me disculpe totalement de l’affaire dans laquelle vous essayez de me noyer.
    — En effet, répond le juge.
    — Et qu’en faites-vous ?
    — Rien.
    — Rien ?! hoquette Hardy.
    — Absolument rien. »
    Le juge retourne à ses dossiers, ouvre celui qui concerne Lydie Bastien, fouille, trouve, relit, déclare :
    « Après la guerre, votre fiancée a tenté de circonvenir deux témoins. Edmée Deletraz elle-même…
    — Je me fous d’Edmée Deletraz ! » s’écrie Hardy.
    Il se lève de nouveau. Son visage est crispé, déformé par la rage qu’il ne parvient plus à contenir.
    « Ne parlons pas d’elle ! Elle traficote d’un côté avec les nazis, de l’autre avec la Résistance !
    — Comme vous ! » lâche le juge.
    Il se lève à son tour et fait face à cet homme jeune qui, s’il le pouvait, le basculerait de l’autre côté de la table.
    « Vous aussi, vous passez d’un camp à l’autre ! De la maison du docteur à l’Ecole de santé militaire ! De quoi parlez-vous ? »
    Soudain, croyant entendre des coups frappés contre le mur, le juge se calme, se rassied, invite l’inculpé à faire de même. Ils se taisent. Le juge tend l’oreille. Le silence, seul, lui répond.
    « Vous savez qu’une information judiciaire a été ouverte contre cette femme, reprend le juge, chuchotant presque. Elle s’est close sur un non-lieu.
    — Mon alibi émane d’une personne incontestable.
    — Votre bras droit ?
    — Il est surtout officier et résistant… Il a témoigné : le 21 juin, nous avons déjeuné ensemble.
    — Cela ne vous empêchait pas de vous trouver rue Berthelot à onze heures.
    — Je l’ai rejoint très tôt. Je devais être à l’heure au pied du funiculaire. »
    Le juge soupire. Il croise les mains et dit, aussi pacifiquement que possible :
    « Votre bras droit a produit un faux témoignage. Vous le savez. »
    Hardy tressaille violemment, comme s’il allait bondir puis frapper.
    « Passons là-dessus », poursuit le juge sur un ton pacificateur.
    Il ajoute, presque compassionnel :
    « Il s’est comporté avec vous comme un ami doit le faire.
    — Et c’est vous qui dites cela », grommelle Hardy.
    D’un geste, le juge lui ordonne de se taire. Il lui a semblé entendre un frottement le long du mur. Il se tourne vers le greffier, vérifiant qu’il a abandonné son clavier, puis il se redresse doucement. Il marche sur la pointe des pieds jusqu’à la porte de la cuisine, l’ouvre sans bruit et glisse dans le couloir jusqu’à l’entrée. Son cœur cogne dans sa poitrine. Il colle l’oreille contre le battant. Ils sont deux de l’autre côté. Ils chuchotent. Le juge pourrait les observer derrière l’œilleton, mais il craintd’être repéré. De toute façon, qu’apprendrait-il de plus ? Deux hommes en manteau de cuir, chapeau mou comme il s’en portait à l’époque, auxquels il n’ouvrira pas

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