Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les chemins de la bête

Les chemins de la bête

Titel: Les chemins de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
Vom Netzwerk:
remarquées plus tôt. Leur fonction était à la
fois de permettre au jour de s’immiscer en ce lieu, mais également de l’aérer
en toute discrétion. Il avança comme dans un rêve vers l’un des meubles de
bibliothèque pour en tirer de lourds volumes avec une révérence apeurée. Leur
état trahissait le grand soin que l’on prenait d’eux. Clément parvint à
déchiffrer quelques titres, la gorge martyrisée par l’émotion. Le monde, il le
sentait, s’ouvrait juste pour lui. Tout ce qu’il avait tant souhaité découvrir,
apprendre, savoir se trouvait ici, à sa portée. Il murmura, bouleversé :
    — Mon Dieu, se pourrait-il que soient réunis tous les
ouvrages de monsieur Galien* ? De sanitate tuenda... Et aussi De
anatomicis administrationibus... Et encore De usu partium corporis...
    La voix de l’enfant s’éteignit dans un souffle.
    Il découvrit une traduction latine exécutée par un certain
Farag ben Salem d’une œuvre rédigée par Abu-Bakr-Mohammed-ibn-Zakariya
al-Razi*, dont il n’avait jamais entendu prononcer le nom auparavant. Ce Al-Hawi —  Continens en latin  – semblait un ouvrage de pharmacologie,
mais la faible lueur lunaire handicapait sa lecture.
    En revanche, nombre d’ouvrages se refusèrent à Clément,
leurs titres en langues mystérieuses protégeant leurs secrets. S’agissait-il
d’arabe, de grec, d’hébreu ? Il n’aurait su le dire.
    Ainsi donc, la salle par laquelle il était parvenu jusqu’ici
n’était qu’une sorte de réserve, peut-être un atelier de réparation, expliquant
l’odeur de colle et les peaux clouées.
    Des heures durant, il examina les ouvrages, grisé au point
que le temps s’annula. La nuit qui filtrait par les hautes meurtrières commença
de se teinter d’un bleu laiteux, l’alertant enfin. Le jour était proche.
    S’aidant de l’escabeau, Clément parvint à ressortir par le
soupirail, non sans de douloureuses difficultés. Sa cheville l’élançait, et un
gigantesque pouls semblait cogner à l’intérieur.

 
     
Porte Bucy, Paris, juin 1304
    La chaleur lourde de l’après-midi n’affectait pas Francesco
de Leone, pas plus que la puanteur exhalée par les immondices accumulées au
coin des ruelles. En revanche, l’incessante activité de cette fourmilière
humaine l’étourdissait.
    La capitale comptait plus de soixante mille feux,
c’est-à-dire sans doute une population avoisinant deux cent mille âmes. Cette
foule bruyante se répartissait sur les deux rives de la Seine, que
n’enjambaient que deux ponts de bois : le Grand Pont et le Petit Pont,
déraisonnablement bâtis puisque cent quarante habitations et plus de cent
boutiques se succédaient sur le premier, encore alourdi par les moulins. Il
n’était donc pas rare que les crues du fleuve emportassent les ponts comme des
fétus de paille.
    Le chevalier remonta lentement la rue de Bucy, écartant d’un
regard sans hargne une très jeune bordeleuse aux yeux mangés de cernes et au
ventre creux. Il songea qu’elle devait sortir d’une étuve voisine. Chacun
savait que ces bains publics mixtes servaient aussi de lieux de rencontres
galantes, qu’elles fussent juste clandestines ou rémunérées. Le sexe se vendait
aux quatre coins de Paris et il se vendait bien. L’amour vénal passait pour un
moindre mal pourvu qu’on le réglementât. Il permettait aux pauvres, que leur
absence de moyens écartait du mariage, d’assouvir l’urgence de leurs besoins,
de leurs désirs. Il permettait aussi à des filles faméliques, jetées sur le
trottoir par une grossesse malvenue ou par des parents sans le sou, de survivre
tout en épargnant aux femmes mariées la lubricité des puissants. C’étaient du
moins les arguments qui se ressassaient, offrant une explication acceptable à
bien des consciences, à bien des culpabilités. Ils ne convainquaient pas
Francesco de Leone et une peine étrange l’habitait. Le plus vieux métier du
monde, celui des femmes auxquelles on commençait de refuser la plupart des
autres, s’étalait dans la capitale. Au train où allaient les choses, il leur
resterait bientôt moins de solutions que ne comptaient les doigts d’une
main : riche par naissance, mariée, religieuse ou putain. Dans le dernier
cas, elles finiraient rongées de tuberculose ou d’une maladie de ventre, ou
encore exsanguinées sous les coups de lame d’un client de passage. Qui se
préoccupait de ces ombres ? Ni le pouvoir, ni l’Église, et encore

Weitere Kostenlose Bücher