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Les chemins de la bête

Les chemins de la bête

Titel: Les chemins de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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Pourtant, je
suis si contente de vous offrir ces modestes provisions, un pain de seigle à la
mie foncée mais nutritive, une bouteille de notre cidre  – vous verrez, il
est goûteux  –, un fromage de chèvre, quelques fruits et une bonne part de
gâteau d’épices de ma confection... On le prétend assez plaisant... (Elle rit
avant d’avouer, confuse :) J’aime tant nourrir les gens, c’est sans doute
une faiblesse, mais je n’en connais pas la cause, et puis, elle me fait
plaisir... (Soudain contrite, elle bafouilla :) Oh, je ne devrais pas dire
cela...
    — Si fait. C’est une belle chose que de nourrir les
gens, les pauvres, surtout. Merci de vos dons, sœur Adélaïde, ils sont
précieux... (Soudain heureux de cet infime échange qui lui dépoussiérait le
cerveau avant son pénible voyage, il ajouta :) Et vous avez ma parole,
tout cela restera entre nous, comme un gentil secret qui nous lierait par-delà
les lieues.
    Elle se mordit la lèvre inférieure de contentement et,
apeurée, déclara avec précipitation :
    — Je dois rentrer. Votre route est longue, mon frère,
je le sens. Qu’elle vous soit amie. Mes prières vous suivront... Non, elles
vous escorteront. Gardez-moi une petite place dans les vôtres.
    Il se pencha vers elle et déposa un baiser fraternel sur son
front inquiet en murmurant :
    — Amen.

 
     
Abbaye de femmes des Clairets, Perche, tombée de la
nuit, mai 1304
    Clément n’avait pas peur. Tout était paisible. Les sœurs
avaient rejoint leur dortoir après le souper et complies*. Les grenouilles
coassaient avec un bel ensemble, les geais s’invectivaient de nid en nid de
leurs cris rauques. Plus loin sur la droite, des lérots affairés creusaient de
leurs griffes des galeries entre les pierres, menant grand tapage. Ce sont des
animaux si méfiants que l’on aperçoit rarement leur petit masque noir. La
moindre présence étrangère les eut rendus silencieux. Clément se délectait sans
fin de ce jeu de piste que semait la nature au profit de ceux qui savaient
l’écouter et la regarder. Il en connaissait presque tous les secrets, tous les
pièges aussi.
    Il allongea prudemment une jambe engourdie en dehors de sa
cachette : la grande alveus de pierre creusée dans laquelle macéraient les
feuilles, les rhizomes ou les baies récoltés par la sœur apothicaire. Une
écœurante odeur de putréfaction végétale empuantissait l’air. Dans une heure,
il ferait pleine nuit. Il avait le temps de se restaurer un peu et de
réfléchir.
    Qu’allait-il advenir d’eux ? D’eux deux, car il se
préoccupait peu du sort de Mathilde. Elle était futile et trop sotte pour
s’inquiéter d’autre chose que de ses petits seins qui ne poussaient pas assez
vite à son gré, de ses rubans et de ses peignes à cheveux. Qu’allait-il advenir
d’Agnès et de lui ? Une émotion précieuse lui fit monter les larmes aux
yeux : car ils étaient deux, il n’était pas seul. La dame de Souarcy ne
l’abandonnerait jamais, sa vie fût-elle en danger à cause de lui. Il le savait
d’une conviction qui lui chavirait le cœur.
    À genoux, caché derrière la porte qui menait à la grande
salle, il avait assisté à l’interminable soirée que lui avait infligée l’avant-veille
son demi-frère. Elle avait joué finement, à son habitude. Pourtant, le
lendemain, lors de leur promenade dans les communs, juste après le départ du
scélérat, il avait senti son incertitude, et compris sa crainte : jusqu’où
était capable d’aller Eudes ? À quoi s’arrêterait-il ?
    La réponse à cette deuxième question était limpide, et Agnès
la connaissait aussi bien que Clément. Il s’arrêterait à la peur, lorsqu’il
trouverait en face de lui un fauve plus redoutable.
    Ils étaient si seuls, si démunis. Nul fauve protecteur ne se
porterait à leur secours. L’enfant luttait contre le découragement depuis des
mois. Trouver quelque chose, une parade, n’importe quoi. Il maudissait sa
jeunesse, sa faiblesse. Il maudissait ce qu’il était en vérité, ce qu’il devait
taire pour leur protection mutuelle. Agnès le lui avait expliqué dès qu’elle
l’avait pu, et il avait compris la justesse de ses inquiétudes.
    Le savoir était une arme, Agnès le lui avait affirmé,
surtout face à un butor comme Eudes, qui en était dépourvu. Le savoir... Il
était en partie dispensé par les sœurs écolâtres des Clairets, aussi Clément
avait-il obtenu de sa dame deux ans auparavant

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