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Les chemins de la bête

Les chemins de la bête

Titel: Les chemins de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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tant pis, ils
iraient à petite allure.
    Un huissier les accueillit avec une morgue qui disait assez
le contentement qu’il tirait de son petit rang. Ils patientèrent une bonne
demi-heure dans l’antichambre de monsieur de Nogaret, sans échanger une seule
parole.
    Enfin, on les mena. Leone rencontrait leur plus sérieux
ennemi, car il ne pouvait s’agir de Guillaume de Plaisians, que Giotto avait
décrit comme un beau gaillard. L’homme d’une bonne trentaine d’années qui se
tenait derrière la longue table encombrée faisant office de bureau était de
petite stature, presque chétif. Un bonnet de feutre d’un indigo luxueux
couvrait son crâne et ses oreilles, affinant encore un visage émacié, allumé
d’un regard intense que des paupières dépourvues de cils rendaient presque
déplaisant. En dépit de la frénésie de l’époque pour un luxe vestimentaire
ostentatoire, et de cette mode qui raccourcissait les vêtements masculins,
Nogaret était resté fidèle à la longue robe austère des légistes. Il avait
passé dessus un manteau sans manche, fendu sur le devant, dont le seul ornement
était une bordure de vair [71] .
Un feu rugissait dans la cheminée, et Leone se demanda si Nogaret ne leur
faisait pas l’amitié d’être gravement malade.
    — Asseyez-vous, bon ami Giotto, invita Guillaume de
Nogaret.
    Francesco de Leone resta debout, comme il convenait à un
commis de maison de banque. Le légiste parut enfin le remarquer, et sans même
le regarder demanda :
    — Et qui est votre compagnie ?
    — Mon neveu, le fils de mon défunt frère aîné.
    — J’ignorais que vous eussiez un frère.
    — Qui n’en a pas, messire. Francesco. Francesco
Capella. Mon neveu nous a rendus bien fiers...
    Nogaret, que les menus bavardages ennuyaient et dont la
patience de salon n’était pas la qualité principale, écouta dans un
demi-sourire. Les trente mille livres qu’il comptait emprunter au banquier
valaient bien quelque complaisance.
    — ... il fut durant trois années l’un des chambellans
de notre regretté saint-père Boniface...
    Une lueur d’intérêt s’alluma dans le regard à l’étrange
fixité.
    — ... et puis, une affaire de femme... une bagarre,
bref la disgrâce.
    — Quand cela ?
    — Peu de temps avant le décès de notre pape, que Dieu
berce son âme.
    — Si tant est que Son jugement le lave de ses multiples
péchés, acquiesça Nogaret d’un ton aigre.
    Nogaret était homme de foi, une foi exigeante qui lui avait
fait détester Boniface, selon lui indigne de la grandeur de l’Église.
Contrairement à son prédécesseur Pierre Flote, décidé à débarrasser
définitivement la monarchie des ingérences continuelles du pouvoir papal,
l’ambition de Nogaret était de permettre au roi de doter l’Église d’un
irréprochable représentant de Dieu sur terre. Leone connaissait sa
participation occulte aux grandes affaires religieuses qui avaient agité la
France. Nogaret avait ensuite quitté les coulisses du pouvoir pour rejoindre la
pleine clarté. Il avait notamment prononcé l’année dernière un virulent
discours divulguant les « crimes » de Boniface VIII. En d’autres
termes, il pavait le chemin au futur pape du roi, sans doute secondé par
Plaisians.
    Un ou deux noms de cardinaux pressentis, c’était ce que
cherchaient le prieur et le grand maître afin d’intervenir.
    La mort de Boniface VIII n’avait pas atténué l’animosité
qu’éprouvait Nogaret pour lui. Quant à l’injure que le souverain pontife lui avait
lancée publiquement en n’hésitant pas à le traiter de « fils de
Cathare », elle le suffoquait toujours. Lorsqu’il avait appris le décès du
pape, le conseiller s’était contenté de marmonner :
    — Qu’il rencontre son Juge.
    Nogaret n’en avait pas fini avec celui qu’il considérait au
mieux comme une épouvantable disgrâce, au pire comme un envoyé du diable
acharné à la perte de la Sainte Église.
    Il détailla pour la première fois l’homme encore jeune dont
l’humble posture le satisfaisait.
    — Assieds-toi... Francesco, c’est cela ?
    — C’est cela, messire.
    — C’était un bel honneur et un grand privilège que ce
service au pape. Pourtant tu l’as gâché, et pour une fille, en plus.
    — Il s’agissait d’une dame... Enfin, presque.
    — Galant homme ! Bref, d’une semi-fille. Et qu’en
as-tu retenu, de ce prestigieux service ?
    Le gros poisson était ferré. Le prieur avait

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