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Les chemins de la bête

Les chemins de la bête

Titel: Les chemins de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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eu raison. En
dépit de sa vive intelligence, Nogaret était homme de passion, passion de
l’État, passion du roi, passion du droit. La passion fait avancer, mais elle
aveugle.
    — Tant, monseigneur, soupira Leone.
    — Cette multitude n’a pourtant pas l’air de te réjouir.
    — C’est que le très saint homme était... enfin...
L’amour de Notre Seigneur devrait s’imposer sans...
    Un sourire fugace étira les lèvres minces de Nogaret. Il
était appâté. Que savait au juste ce neveu d’usurier ? Même s’il ne
s’agissait que de viles médisances, elles lui feraient du bien, le confortant
dans son exécration de Boniface. D’autant que ces chambellans fouinent partout,
ils s’échangent de petits secrets de pot de nuit ou d’alcôve, dont certains
accouchent d’affaires d’État. La colique glaireuse et nauséabonde d’un grand
peut annoncer une prochaine succession. Se tournant à nouveau vers Giotto
Capella, il s’enquit :
    — Et donc, votre neveu reprend le flambeau de la
banque ?
    — Oh non, messire, et c’est vive déception. Il n’a pas
goût aux affaires d’argent, et je doute qu’il en ait le talent. Je cherche
parmi mes prestigieuses relations un seigneur qui pourrait souhaiter se
l’adjoindre. Il est fort intelligent, parle couramment cinq langues sans
compter le latin, et cette malheureuse histoire de demoiselle a bien tempéré sa
fougue. On dirait un moine. Il est très fiable et sait que le mutisme vaut plus
que l’or dans notre profession.
    — Intéressant... Je pourrais, pour vous être agréable,
ami Giotto, l’accepter à l’essai.
    — Quel honneur. Quel infini honneur. Quelle
bienveillance, quelle générosité... Jamais je n’aurais espéré...
    — C’est que je tiens à nos cordiales et fructueuses
relations, Giotto.
    Leone feignit une reconnaissance sans limite, tombant sur un
genou, tête baissée, main sur le cœur.
    — Allons... je t’attends demain dès prime*, nous
prierons ensemble. Je ne connais pas de meilleur moyen que la prière pour se
rejoindre.
    Nogaret en vint enfin à ce qui le préoccupait à cœur. Un
nouvel emprunt, trente mille livres, une somme ! Plaisians avait réalisé
l’évaluation, au plus juste. C’était ce qu’allaient leur coûter les
innombrables entrevues avec les cardinaux français, les différents entremetteurs
qu’il faudrait rémunérer, sans oublier les « cadeaux »
qu’attendraient la plupart des prélats pour renoncer à leur avidité de pouvoir
suprême au profit d’un candidat unique, celui de Philippe. Quant au roi, son
choix n’était pas arrêté. Peu lui importait l’identité de l’élu, pourvu qu’il
cesse de mettre son nez dans les affaires de France. Le monarque était prêt à
apporter son soutien et son Trésor à qui le lui garantirait.
    Ni Giotto ni Leone ne furent dupes de l’explication fournie
par le conseiller : préparer la levée d’une nouvelle croisade afin de
reconquérir la Terre sainte. Philippe avait bien trop à faire en Flandre ou en
Languedoc pour disséminer ses forces ailleurs. Néanmoins, il était de bon ton
de se féliciter de tout nouveau projet de cet ordre, et Giotto ne dérogea pas à
la règle.
    — Et quelles conditions nous accordez-vous, messire,
car il s’agit d’une somme qui sans être astronomique est fort
conséquente ?
    — Le taux d’intérêt fixé par Saint Louis.
    Giotto s’y attendait.
    — Et quant à l’usance [72]  ?
    — Deux ans.
    — Ah ? C’est que c’est bien loin, et je ne sais si
mes prêteurs...
    — Dix-huit mois, c’est mon dernier mot.
    — Fort bien, messire, fort bien.
    Ils ressortirent de la grosse tour du Louvre peu après.
Giotto se frottait les mains.
    — Êtes-vous bien satisfait, chevalier ? Vous voilà
dans la place.
    — Ne t’attends pas à des remerciements de ma part,
banquier. Quant à mon humeur, elle ne te concerne pas. Au fait, je demeure chez
toi.
    L’autre pinça les lèvres. Il s’était enfin cru débarrassé de
cette présence qu’il croisait à peine et que pourtant il sentait jusque dans le
froid qui rampait sous sa peau. Il fit contre mauvais cœur bonne figure et
demanda :
    — Et qu’avez-vous pensé de cet emprunt ? Cet alibi
de croisade que l’on nous brandit sous le nez est bien utile. Il s’accommode de
toutes les sauces. Trente mille livres, c’est une grosse somme, mais bien trop
modeste pour lever une armée de croisés et l’envoyer à l’autre bout de

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