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Les chemins de la bête

Les chemins de la bête

Titel: Les chemins de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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étonnamment grave :
    — Tu veux ma vie ? Viens la prendre. Je la vends
chèrement.
    Que se passait-il ? Rien n’allait comme prévu.
    La suite fut si rapide que le spectre ne put y parer. La
fille se jeta sur le cheval, épée brandie, et se fendit. La lame aiguë entama
le large poitrail noir de l’animal, qui se braqua en hennissant de douleur et
de surprise, désarçonnant son cavalier pétrifié d’incompréhension.
    Une lueur féroce et joyeuse éclaircit encore davantage
l’étrange regard d’Esquive. Elle sourit, recula de quelques pas et écarta
légèrement les jambes, prête au combat.
    Le spectre se redressa d’un mouvement de reins. La peur. La
peur qu’il avait cru pouvoir dissoudre à jamais l’envahit à nouveau. L’abjecte
peur de mourir, de souffrir, de n’être à nouveau plus rien. Il se débarrassa de
son gantelet devenu ridicule et tira sa dague d’une main à l’assurance
évanouie. Certes, il savait se battre, mais la posture de la jeune fille lui
indiquait assez qu’il avait affaire à une fine lame.
    Il jeta un regard éperdu autour de lui. Son exécration de
lui-même, celle dont il pensait quelques instants plus tôt être parvenu à se
défaire, le suffoquait. Il n’était qu’un pleutre, une âme faible qui s’était
intoxiquée du pouvoir des autres en le croyant sien. Il détestait cette fille.
C’était de sa faute si le passé avait ressuscité. Elle paierait pour cela, pour
sa haine de lui-même. Un jour, il prendrait plaisir à la tuer, à l’entendre
hurler, puis geindre, puis s’éteindre. Un jour. Plus tard.
    Esquive comprit que son adversaire allait fuir. Elle hésita
une fraction de seconde de trop entre sa rage, l’envie de pourfendre celui qui
avait assassiné tant des leurs et l’importance vitale de sa mission. Le spectre
le perçut-il ?
    Il fonça vers le grand étalon noir qui s’était calmé à
quelques dizaines de toises de là, pas assez vite toutefois pour éviter la
large lame qui s’abattait sur son épaule droite. La douleur lui arracha un
gémissement mais la peur, la haine le galvanisèrent. S’aidant de sa main
gauche, il parvint à se hisser en selle. Monture et cavalier disparurent dans
la nuit de la forêt.

 
     
Palais du Vatican, Rome, juillet 1304
    Les premiers jours de juillet avaient amené avec eux une
touffeur encore plus épouvantable que celle que l’on avait subie en juin. L’air
semblait se raréfier au point qu’il fallait fournir un effort pour respirer.
Nul souffle d’air n’apportait de soulagement, même éphémère.
    Le camerlingue Benedetti avait été vaincu par cette obstinée
vague de chaleur. Il s’était assoupi à sa table de travail, son front reposant
sur sa main gauche, le nez dans son gracieux éventail de nacre.
    La silhouette marqua un arrêt, tendant l’oreille. Elle
tenait un petit panier d’osier dont l’anse avait été enrubannée de blanc.
L’antichambre était déserte en cette heure de sustentation, et la respiration
de l’archevêque paisible et régulière. Son regard se posa sur la coupe à moitié
vidée de la macération de sauge et de thym que le camerlingue buvait après
chaque midi, un remède contre les ballonnements de ventre. Un goût bien
déplaisant mais adéquat puisqu’il masquait l’amertume de la poudre d’opium
dosée de sorte à provoquer un assoupissement comateux.
    Sans un bruit, sans un mouvement d’air, la silhouette passa
derrière l’imposant bureau marqueté d’ivoire, de nacre et de losanges de
turquoise. La main gantée souleva une tapisserie représentant une Vierge timide
et diaphane, autour de laquelle voletaient des anges, dévoilant un passage bas
ménagé entre les épais murs. La chambre de réunion du souverain pontife se
trouvait à l’autre extrémité.
    La silhouette se courba et franchit les quatre toises qui la
séparaient de la conclusion de sa mission.
    La vaste salle était vide, ainsi qu’il était prévu. Benoît
XI n’était pas rentré de sa restauration de midi. Il n’était pas connu pour ses
vices, mise à part une bien modeste faiblesse pour la bonne chère, notamment
celle qui lui rappelait les années douces durant lesquelles il avait été évêque
d’Ostie.
    La silhouette avança, foulant l’épais tapis aux motifs
pourpres et or qui recouvrait presque tout le sol de marbre. La table de
réunion évoquait la Cène et le fauteuil papal, lourdement orné et surmonté d’un
dais blanc, trônait en son milieu.

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