Les chevaliers du royaume
endroit magnifique ! Dire que certains avaient parlé de Damas comme d’un paradis, alors qu’il était là ! L’oasis, c’était les jardins sans Babylone, l’Éden sans Adam, la pomme sans Lucifer. Figurez-vous une immense crevasse en forme de delta inversé. Des arches mousseuses en relient les hauteurs, où sont incrustées, telles des émeraudes, une myriade de grottes débordantes de verdure. Elles tiennent lieu de salles communes, de pièces à vivre, d’ateliers, d’entrepôts, d’observatoires et de chapelles… Des galeries à flanc de roche et des escaliers taillés dans la pierre permettent de circuler de salle en salle et de surveiller l’oasis. Çà et là, ainsi que des coulées de lave reverdies par le temps, des jardins suspendus étagés en terrasse prolongent les grottes jusqu’au fond de la crevasse, où cascade une rivière. Morgennes ne voyait pas l’amont de ce petit torrent, perdu dans le brouillard, mais son aval se jetait dans une anfractuosité de la terre, par où il s’échappait en chuintant dans une floraison de vapeurs.
En vérité, c’était la main de Dieu.
Les ayant fait descendre de cheval, les femmes casquées et en armure, le regard farouche, les emmenèrent sous un dais verdoyant. Quelques lianes y pendaient, ajoutant à la beauté des lieux ; une guerrière coupa l’une d’elles avec son sabre, et s’en servit pour leur attacher les mains.
— Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ? demanda-t-elle ensuite, d’une voix claire.
Elle avait les traits d’une adolescente. Mais on lisait sur son visage une réelle dureté ; dureté renforcée par les lignes acérées de son casque, surmonté d’une tête de hyène.
— Je m’appelle Morgennes, et voici Yahyah, répondit Morgennes. Nous sommes venus en paix reprendre un bien qui m’appartient et retrouver nos amis.
— De quoi, de qui parlez-vous ?
— D’une épée, de deux hommes et d’une jeune femme, qui ont dû arriver peu de temps avant nous.
— Ils sont nos prisonniers. Nous ne voulons avoir de contact avec personne. Donnez-nous une bonne raison de ne pas faire de vous nos esclaves…
Morgennes réfléchit. Il pensa parler de Massada, mais ignorant les termes dans lesquels celui-ci était avec les Moniales, il préféra s’abstenir. C’est alors qu’il remarqua sur la poitrine d’une des guerrières un médaillon en forme de palmier, identique à celui que Fémie lui avait remis, peu avant de mourir.
Fouillant sous sa cotte de mailles avec ses mains liées, il dit aux jeunes femmes :
— Attendez, regardez ceci.
Tant bien que mal, il extirpa le bijou de Fémie et le leur présenta. Il brillait doucement à la lumière des torches des Moniales.
— Où avez-vous eu ça ? demanda une autre guerrière.
— C’est une amie qui me l’a donné, répondit Morgennes.
— Son nom !
— Fémie.
Une rumeur passa de Moniale en Moniale. Elles parlaient une langue étrange, faite de sifflements et d’intonations variées.
— Suivez-moi ! dit la première guerrière.
Après les avoir libérés, la soldate conduisit Morgennes et Yahyah dans un dédale d’escaliers étroits qui serpentait de terrasses en grottes, et de grottes en terrasses, allant toujours plus haut, traversant des salles où s’affairaient des Moniales auprès de fours, de forges et de creusets, de métiers à tisser, d’alambics, d’athanors ou de tours de potier. On aurait dit une ruche humaine, aux alvéoles aussi mystérieuses qu’insondables, toutes bourdonnantes d’activité.
— Entrez là ! ordonna la guerrière.
Morgennes et Yahyah pénétrèrent dans une salle au plafond bas, à l’entrée barrée par un rideau. Ils se trouvaient dans une petite grotte, aux murs blanchis à la chaux, avec par endroits des taches d’humidité et des peintures naïves figurant des chasseuses. Au bout d’un tapis de laine aux motifs représentant des scènes saphiques était assise une jeune guerrière, aux traits adolescents.
Morgennes s’agenouilla, pensant qu’il devait s’agir de Zénobie, la reine des Amazones.
— Relevez-vous, dit-elle. Je ne suis pas celle que vous croyez : vous la verrez demain. Je m’appelle Eugénie. Je suis la sœur de Fémie.
Morgennes tressaillit et porta la main à son cœur, comme pour dissimuler le médaillon qui pendait à son cou. C’est alors qu’un mouvement se fit derrière eux, et qu’une voix masculine, la voix d’un vieillard, déclara :
— Ah, le
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