Les cochons d'argent
son escorte, prêts à entrer en ville en grandes pompes…
Elle soutint mon regard. Je n’ai jamais été très doué pour les réconciliations. Je sentais les veines de mon cou se contracter.
— Didius Falco, savez-vous que mon père a fait un pari avec oncle Gaïus ? demanda-t-elle avec un vague sourire. Oncle Gaïus étais sûr que je vous congédierais d’un claquement de doigts. Mais père pensait que vous me plaqueriez avant.
— Ce sont de vilains personnages, remarquai-je prudemment.
— À nous de leur donner tort, Falco.
Mon front se plissa.
— On ne va pas gâcher un pari si amusant !
Croyant que j’étais sérieux, elle détourna brusquement le regard.
Je sentais une douleur au creux de mon estomac ; je diagnostiquai sans peine une bonne dose de culpabilité. Je lui effleurai la joue avec un doigt, comme je le faisais à Marcia, ma petite nièce. Elle ferma les yeux, sans doute par dégoût. Les véhicules s’ébranlèrent. Alors elle murmura, abattue :
— Je ne veux pas rentrer à la maison.
Je compatissais, comprenant très bien ce qu’elle éprouvait. Elle les avait quittés au moment de son mariage, avait dirigé sa propre demeure – sans doute avec talent. Elle n’avait plus de foyer à elle. Elle n’envisageait pas une seconde de se remarier – son frère me l’avait dit en Germanie. Elle devait donc rentrer chez son père : Rome n’offrait aucun autre choix aux femmes. Elle serait condamnée à une vie futile qui ne lui disait plus rien. Elle avait connu une brève évasion, avec son séjour en Bretagne. Mais l’heure du retour avait sonné.
Je compris qu’elle paniquait pour de bon, ce qui l’avait sans doute poussée à se confier à moi.
Me sentant toujours coupable, je lançai :
— On dirait que vous avez encore le mal de mer. Je préfère remettre mes clients en meilleur état. Venez, je vais vous montrer Rome vue des hauteurs, ça vous donnera meilleure mine.
Je dois avoir un don pour monter les plans les plus abracadabrants. À l’est de la ville, à des milles d’où habite son père, on peut gravir les remblais de l’ancien mur d’enceinte. Une fois que l’on a laissé derrière soi les cahutes criardes des marionnettistes, les dresseurs de ouistitis et autres tisseurs indépendants quémandant du travail, les vieux remparts construits sous Servius Tullius offrent un cadre agréable pour une balade. Pour y arriver, nous avons dû plonger au cœur de la ville, traverser le Forum et gagner l’Esquilin. La plupart des gens préfèrent passer par le nord, à la porte Collina ; j’eus le bon sens de la conduire dans l’autre direction, ce qui permet de descendre ensuite par la via Sacra, avec une bonne moitié du chemin déjà parcourue.
Les dieux seuls savent ce que pensèrent les porteurs. Mais, sachant ce qu’ils ont coutume de voir, j’ai ma petite idée sur le sujet…
Une fois gravis les remparts, nous nous sommes promenés côte à côte. En ce début d’avril et à une heure où les gens s’apprêtaient à dîner, nous étions quasiment seuls. Je retrouvai un spectacle familier. Je ne connais rien de comparable au monde… Des immeubles de six étages dans des ruelles étroites qui toisent les palais et villas privées sans le moindre respect des préséances sociales… Cette lumière d’un beige doré qui s’égrène sur les toits des temples et scintille dans le jet des fontaines… Même en avril, l’air semblait chaud comparé à l’humide fraîcheur britannique. Au cours de notre promenade, nous avons compté une à une les sept collines. En arrivant à l’ouest, le long de la crête de l’Esquilin, la brise nocturne nous soufflait au visage. On y décelait le fumet envoûtant des ragoûts de viande mijotant dans des centaines d’échoppes plus ou moins douteuses, ou encore une délicate senteur d’huîtres au coriandre marinées dans une sauce au vin blanc, et de porc braisé au fenouil, agrémenté de poivre en grains et de pignons de pin – le menu concocté dans la cuisine débordant d’activité de quelque villa située juste en contrebas. L’écho lointain d’un tumulte animé parvenait jusqu’à nous : les vendeurs ambulants, les orateurs, le bruit des ânes, des sonnettes et des ballots qu’on déchargeait, le pas cadencé d’un détachement de gardes, les sons grouillants d’une humanité entassée comme nulle part dans l’Empire ou dans le reste du monde connu.
Je m’arrêtai. Je tournai
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