Les compagnons de la branche rouge
les meilleures conditions possibles, à douze
tuteurs chargés de la nourrir et de l’éduquer. Et, dès son enfance, elle se
montra si douce et si docile qu’on la nomma Essa, c’est-à-dire « facile »,
et il est vrai que ses précepteurs eux-mêmes en étaient charmés. On ne
connaissait en Irlande aucune jeune fille aussi douce et généreuse, et elle s’efforçait
toujours autant que possible d’apaiser les querelles éventuelles de son
entourage et de réconcilier tous ceux qui se croyaient en droit de s’opposer
les uns aux autres.
Or, un jour, surgit du sud un champion nommé Cavad. Malgré
sa présence en Munster, il était originaire d’Ulster et, s’il se montrait
souvent un redoutable guerrier, il n’en était pas moins un druide aussi habile
dans les sciences que doué de grande sagesse et de grand pouvoir sur toutes
choses [25] .
Il était accompagné d’une troupe de trois neuvaines d’hommes [26] et, avec eux, mettait au pillage toutes les terres de la province.
Ils y parcouraient des lieux désertiques lorsqu’ils
rencontrèrent une troupe qui, forte aussi de trois neuvaines d’hommes, se
livrait aux mêmes activités dans l’espoir de rafler un abondant butin. Après s’être
défiés mutuellement, les deux partis se ruèrent l’un sur l’autre. Mais comme
ils étaient d’égale valeur et que le nombre ne pouvait pas non plus les
départager, ils finirent par conclure la paix et s’entendre pour partager les
profits de leurs expéditions et pour confier à Cavad, qui connaissait bien le
pays, le soin de les guider. Et c’est dans cet équipage qu’ils parvinrent tous
à l’endroit où s’étaient réunis pour festoyer les douze tuteurs de la fille du
roi. Cavad les aborda, les combattit et, à lui seul, les mit à mort, ainsi que
toute leur maisonnée, n’épargnant que la jeune fille. Puis, alourdis d’un
copieux butin, lui et les siens partirent aussitôt, sans que personne sût le
nom du meurtrier.
Accablée de douleur par le massacre de ses maîtres, la jeune
fille, folle de colère, alla trouver son père pour se plaindre. Mais il répondit
qu’il ne pouvait venger les douze tuteurs, ne sachant qui les avait tués.
« Dans ce cas, répliqua-t-elle, je les vengerai
moi-même. Puisque ce sont des hommes d’Ulster qui nous ont assaillis, je jure
de tuer tous les Ulates que je rencontrerai sur ma route. »
Là-dessus, Essa s’entoura d’une troupe de trois neuvaines d’hommes
et, escortée d’eux, s’en fut vers le nord ravager les forteresses et les
maisons des Ulates, sans témoigner la moindre pitié envers ceux qu’elle
considérait comme les complices des meurtriers. Et sa réputation de redoutable
guerrière la fit appeler non plus Essa mais Nessa, c’est-à-dire « qui n’est
pas facile », et on prit l’habitude d’abréger son nom en Ness, qui rendait
mieux compte et de la rudesse de ses armes et de sa bravoure [27] .
Et, chaque fois qu’elle rencontrait un champion, elle le priait de lui raconter
son histoire, espérant par là obtenir des renseignements sur l’assassin de ses
tuteurs.
Un soir qu’elle se trouvait dans une grande lande et que ses
gens s’affairaient à préparer le repas, ses pas l’écartèrent, et elle atteignit
le rivage d’un beau lac aux eaux très pures. Brusquement désireuse de se
baigner, elle déposa ses armes, se défit de ses vêtements et plongea dans les
flots. Peu après survint la troupe du druide Cavad et de ses compagnons. Or, sitôt
qu’il vit la baigneuse, Cavad fut saisi de désir et, se mettant entre elle et
ses armes, la menaça de son épée tranchante.
« Laisse-moi la vie, dit-elle. – Je te la laisserai si
tu m’accordes mes trois demandes, rétorqua-t-il. – Je promets de te les
accorder, dit-elle. Quelles sont-elles ? – D’abord, ma sécurité, quoi qu’il
advienne. Ensuite, ton amitié. Enfin, que tu sois ma femme tant que je le
voudrai. – C’est entendu », répondit Ness.
Mais, en entendant ces propos, l’allié de Cavad entra dans
une sombre fureur. « Je ne pensais pas te voir jamais tomber sous
domination de femme ! s’écria-t-il. Ici prend fin notre association. »
Et, suivi de ses trois neuvaines, il s’en fut aussitôt.
Pour ce qui est de Ness, elle emmena Cavad chez son père qui
leur fit bon accueil, puis tous deux se rendirent en Ulster. Là, on donna à
Cavad une terre où s’éleva bientôt Rath Cavad, sa forteresse, près d’un
ruisseau nommé
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