Les compagnons de la branche rouge
Conor. Une nuit que Cavad souffrait d’une forte soif, Ness alla
lui chercher à boire mais, ne trouvant aucune boisson dans la forteresse, elle
en sortit et s’en alla vers le Conor. Là, elle puisa de l’eau, la filtra dans
son voile et en remplit une coupe qu’elle tendit à son mari.
« Allume la torche, ordonna-t-il, que je regarde s’il n’y
a pas de bête dans l’eau. »
Elle fit apporter une torche et l’alluma. Le druide examina
la coupe et y aperçut deux vers. Dégainant aussitôt, il brandit son épée contre
Ness et s’exclama, fou de colère : « Puisqu’il en est ainsi, c’est
toi qui vas boire le contenu de cette coupe ! »
Elle porta donc la coupe à ses lèvres et y but deux gorgées,
chacune lui faisant avaler un ver. De sorte qu’elle se retrouva enceinte [28] .
Elle éprouva les premières douleurs de l’enfantement dans la
plaine de Murthemné [29] ,
un jour qu’elle et son mari allaient rendre visite, en Munster, à Éochaid au
Talon Jaune.
« S’il est en ton pouvoir, dit Cavad, de te retenir et
de ne mettre au monde ton enfant que la nuit prochaine, fais-le, et je te
garantis que ton fils sera roi et son nom illustre parmi les hommes d’Irlande [30] .
– Je le ferai, répondit Ness, à moins que cet enfant ne me sorte par les côtés.
Allons jusqu’à la Plaine-Île, car j’espère tenir jusque-là. »
Ils atteignirent la Plaine-Île à la nuit tombante. Ness alla
s’étendre sur une pierre plate, en face de la forteresse à la muraille verte, et
s’y abandonna aux douleurs de l’enfantement. Cavad se tenait près d’elle, et il
se mit à prophétiser en ces termes :
Ô Ness, tu es en danger,
que chacun se lève devant ton accouchement !
Il n’y a rien qui puisse calmer ta souffrance.
Belle est la couleur de ta main,
ô fille d’Éochaid au Talon Jaune !
Mais ne te lamente pas, ô femme,
Il sera chef de centaines d’hommes et des armées
du monde, ton fils, sache-le…
En Mag Inis [31] tu l’enfanteras
sur la pierre, au milieu de la prairie.
Glorieuse sera son histoire.
Il sera, lui, le roi plein de grâce,
il sera, lui, le chien d’Ulster [32] ,
qui prendra en otages des héros.
Grande sera la honte
S’il tombe dans le combat…
Conor sera son nom,
pour quiconque l’appellera.
Rouges seront ses armes,
il se distinguera dans le grand carnage.
Enfin, il trouvera la mort
en vengeant le Dieu digne de pitié [33] .
Visible sera la trace de son épée,
sur la plaine en pente que nous voyons…
Ô Ness, tu es en danger :
que chacun se lève devant ton accouchement !
Il n’y a rien qui puisse calmer ta souffrance.
Belle est la couleur de ta main,
ô fille d’Éochaid au Talon Jaune !
Mais ne te lamente pas, ô femme,
il sera chef de centaines d’hommes et des armées
du monde, ton fils, sache-le…
Après qu’il eut chanté ce chant, Ness mit au monde le fils
qu’elle portait en son sein, l’enfant illustre et fameux, l’enfant promis dont
la gloire devait se répandre par toute l’Irlande. Et la pierre plate sur
laquelle il naquit subsiste en face d’Airdig, à l’ouest. Et voici comment il
naquit : il avait un ver dans chaque main, et il tomba à la renverse dans
le ruisseau qu’on appelait Conor et auquel il dut son nom. Le flot passa sur
lui et l’eût englouti si Cavad n’était parvenu à le saisir et à le retirer de l’eau.
Le druide le repêcha donc et, le serrant contre sa poitrine, il rendit grâces
de son heureuse naissance en prononçant ces paroles prophétiques :
Bienvenu soit l’hôte qui est arrivé ici,
comme il vous l’a été annoncé,
le jeune fils du noble Cavad :
il sera une puissance pleine de grâce…
Le jeune fils du noble Cavad
et de Ness la puissante
dominera par sa bravoure les collines de l’Irlande,
mon fils, mon petit enfant…
Mon fils, mon petit enfant,
sera bientôt l’ornement du monde !
Il sera un roi plein de grâce,
il sera poète, il sera généreux…
Il sera poète, il sera généreux [34] ,
il sera le chef des guerriers sur la mer,
et de ma troupe sur la rive,
mon petit chat, tête chérie…
Le jeune Conor fut d’abord élevé par Cavad, mais quand celui-ci
se fut séparé de Ness, il suivit sa mère, et voilà pourquoi on prit l’habitude
de l’appeler Conor, fils de Ness [35] .
En ce temps-là, le roi suprême d’Irlande, qui avait sa
forteresse à Tara, était Fachtna Fathach [36] , que l’on
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