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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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à une
célébrité qui, dans les beaux-arts, se joint toujours à Paris avec
la fortune. Je m'enfermai dans ma chambre et travaillai deux ou
trois mois avec une ardeur inexprimable à refondre, dans un ouvrage
destiné pour le public, le Mémoire que j'avais lu à l'Académie. La
difficulté fut de trouver un libraire qui voulût se charger de mon
manuscrit, vu qu'il y avait quelque dépense à faire pour les
nouveaux caractères, que les libraires ne jettent pas leurs écus à
la tête des débutants, et qu'il me semblait cependant bien juste
que mon ouvrage me rendît le pain que j'avais mangé en
l'écrivant.
    Bonnefond me procura Quillau le père, qui fit avec moi un traité
à moitié profit, sans compter le privilège que je payai seul. Tant
fut opéré par ledit Quillau, que j'en fus pour mon privilège, et
n'ai jamais tiré un liard de cette édition, qui vraisemblablement
eut un débit médiocre, quoique l'abbé Desfontaines m'eût promis de
la faire aller, et que les autres journalistes en eussent dit assez
de bien.
    Le plus grand obstacle à l'essai de mon système était la crainte
que, s'il n'était pas admis, on ne perdît le temps qu'on mettrait à
l'apprendre. Je disais à cela que la pratique de ma note rendait
les idées si claires, que pour apprendre la musique par les
caractères ordinaires on gagnerait encore du temps à commencer par
les miens. Pour en donner la preuve par l'expérience, j'enseignai
gratuitement la musique à une jeune Américaine, appelée
mademoiselle des Roulins, dont M. Roguin m'avait procuré la
connaissance. En trois mois elle fut en état de déchiffrer sur ma
note quelque musique que ce fût, et même de chanter à livre ouvert
mieux que moi-même toute celle qui n'était pas chargée de
difficultés. Ce succès fut frappant, mais ignoré. Un autre en
aurait rempli les journaux; mais avec quelque talent pour trouver
des choses utiles je n'en eus jamais pour les faire valoir.
    Voilà comment ma fontaine de Héron fut encore cassée: mais cette
seconde fois j'avais trente ans, et je me trouvais sur le pavé de
Paris, où l'on ne vit pas pour rien. Le parti que je pris dans
cette extrémité n'étonnera que ceux qui n'auront pas bien lu la
première partie de ces Mémoires. Je venais de me donner des
mouvements aussi grands qu'inutiles; j'avais besoin de reprendre
haleine. Au lieu de me livrer au désespoir, je me livrai
tranquillement à ma paresse et aux soins de la Providence; et, pour
lui donner le temps de faire son œuvre, je me mis à manger, sans me
presser, quelques louis qui me restaient encore, réglant la dépense
de mes nonchalants plaisirs sans la retrancher, n'allant plus au
café que de deux jours l'un, et au spectacle que deux fois la
semaine. A l'égard de la dépense des filles, je n'eus aucune
réforme à y faire, n'ayant de ma vie mis un sou à cet usage, si ce
n'est une seule fois dont j'aurai bientôt à parler.
    La sécurité, la volupté, la confiance avec laquelle je me
livrais à cette vie indolente et solitaire, que je n'avais pas de
quoi faire durer trois mois, est une des singularités de ma vie et
une des bizarreries de mon humeur. L'extrême besoin que j'avais
qu'on pensât à moi était précisément ce qui m'ôtait le courage de
me montrer; et la nécessité de faire des visites me les rendit
insupportables, au point que je cessai même de voir les
académiciens et autres gens de lettres avec lesquels j'étais déjà
faufilé. Marivaux, l'abbé de Mably, Fontenelle furent presque les
seuls chez qui je continuai d'aller quelquefois. Je montrai même au
premier ma comédie de Narcisse. Elle lui plut, et il eut la
complaisance de la retoucher. Diderot, plus jeune qu'eux, était à
peu près de mon âge. Il aimait la musique, il en savait la théorie;
nous en parlions ensemble: il me parlait aussi de ses projets
d'ouvrages. Cela forma bientôt entre nous des liaisons plus
intimes, qui ont duré quinze ans, et qui probablement dureraient
encore, si malheureusement, et bien par sa faute, je n'eusse été
jeté dans son même métier.
    On n'imaginerait pas à quoi j'employais ce court et précieux
intervalle qui me restait encore avant d'être forcé de mendier mon
pain: à étudier par cœur des passages de poètes, que j'avais appris
cent fois et autant de fois oubliés. Tous les matins, vers les dix
heures, j'allais me promener au Luxembourg, un Virgile ou un
Rousseau dans ma poche; et là, jusqu'à l'heure du dîner, je
remémorais tantôt

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