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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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précédent voyage j'avais vu Paris par son côté
défavorable, autant à celui-ci je le vis par son côté brillant; non
pas toutefois quant à mon logement; car, sur une adresse que
m'avait donnée M. Bordes, j'allai loger à l'hôtel Saint-Quentin,
rue des Cordiers, proche la Sorbonne, vilaine rue, vilain hôtel,
vilaine chambre, mais où cependant avaient logé des hommes de
mérite, tels que Gresset, Bordes, les abbés de Mably, de Condillac,
et plusieurs autres dont malheureusement je n'y trouvai plus aucun;
mais j'y trouvai un M. de Bonnefond, hobereau boiteux, plaideur,
faisant le puriste, auquel je dus la connaissance de M. Roguin,
maintenant le doyen de mes amis, et par lui celle du philosophe
Diderot, dont j'aurai beaucoup à parler dans la suite.
    J'arrivai à Paris dans l'automne de 1741, avec quinze louis
d'argent comptant, ma comédie de Narcisse et mon projet de musique
pour toute ressource, et ayant par conséquent peu de temps à perdre
pour tâcher d'en tirer parti. Je me pressai de faire valoir mes
recommandations. Un jeune homme qui arrive à Paris avec une figure
passable, et qui s'annonce par des talents, est toujours sûr d'être
accueilli. Je le fus; cela me procura des agréments sans me mener à
grand'chose. De toutes les personnes à qui je fus recommandé, trois
seules me furent utiles. M. Damesin, gentilhomme savoyard, alors
écuyer, et, je crois, favori de madame la princesse de Carignan; M.
de Boze, secrétaire de l'Académie des inscriptions, et garde des
médailles du Cabinet du roi; et le P. Castel, jésuite, auteur du
clavecin oculaire. Toutes ces recommandations, excepté celle de M.
Damesin, me venaient de l'abbé de Mably.
    M. Damesin pourvut au plus pressé par deux connaissances qu'il
me procura: l'une, de M. de Gasc, président à mortier au parlement
de Bordeaux, et qui jouait très bien du violon; l'autre, de M.
l'abbé de Léon, qui logeait alors en Sorbonne, jeune seigneur très
aimable, qui mourut à la fleur de son âge, après avoir brillé
quelques instants dans le monde sous le nom de chevalier de Rohan.
L'un et l'autre eurent la fantaisie d'apprendre la composition. Je
leur en donnai quelques mois de leçons, qui soutinrent un peu ma
bourse tarissante. L'abbé de Léon me prit en amitié, et voulait
m'avoir pour son secrétaire; mais il n'était pas riche, et ne put
m'offrir en tout que huit cents francs, que je refusai bien à
regret, mais qui ne pouvaient suffire pour mon logement, ma
nourriture et mon entretien.
    M. de Boze me reçut fort bien. Il aimait le savoir, il en avait;
mais il était un peu pédant. Madame de Boze aurait été sa fille;
elle était brillante et petite-maîtresse. J'y dînais quelquefois.
On ne saurait avoir l'air plus gauche et plus sot que je l'avais
vis-à-vis d'elle. Son maintien dégagé m'intimidait, et rendait le
mien plus plaisant. Quand elle me présentait une assiette,
j'avançais ma fourchette pour piquer modestement un petit morceau
de ce qu'elle m'offrait; de sorte qu'elle rendait à son laquais
l'assiette qu'elle m'avait destinée, en se tournant pour que je ne
la visse pas rire. Elle ne se doutait guère que, dans la tête de ce
campagnard, il ne laissait pas d'y avoir quelque esprit. M. de Boze
me présenta à M. de Réaumur, son ami, qui venait dîner chez lui
tous les vendredis, jours d'Académie des sciences. Il lui parla de
mon projet, et du désir que j'avais de le soumettre à l'examen de
l'Académie. M. de Réaumur se chargea de la proposition, qui fut
agréée. Le jour donné, je fus introduit et présenté par M. de
Réaumur; et le même jour, 22 août 1742, j'eus l'honneur de lire à
l'Académie le Mémoire que j'avais préparé pour cela. Quoique cette
illustre assemblée fût assurément très imposante, j'y fus bien
moins intimidé que devant madame de Boze, et je me tirai
passablement de mes lectures et de mes réponses. Le Mémoire
réussit, et m'attira des compliments, qui me surprirent autant
qu'ils me flattèrent, imaginant à peine que devant une Académie
quiconque n'en était pas pût avoir le sens commun. Les commissaires
qu'on me donna furent MM. de Mairan, Hellot et de Fouchy, tous
trois gens de mérite assurément, mais dont pas un ne savait la
musique, assez du moins pour être en état de juger de mon
projet.
    Durant mes conférences avec ces messieurs je me convainquis,
avec autant de certitude que de surprise, que si quelquefois les
savants ont moins de préjugés que les autres hommes, ils

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