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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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temps-là; et telle est encore
aujourd'hui ma stupidité sur cet article, que je n'ai pu parvenir à
sentir ce qu'elle avait pu trouver dans ce passage, je ne dis pas
d'offensant, mais même qui pût lui déplaire.
    A propos de cet exemplaire manuscrit de l'Héloïse que voulut
avoir madame de Luxembourg, je dois dire ici ce que j'imaginai pour
lui donner quelque avantage marqué qui le distinguât de tout autre.
J'avais écrit à part les aventures de milord Édouard, et j'avais
balancé longtemps à les insérer, soit en entier, soit par extrait,
dans cet ouvrage, où elles me paraissaient manquer. Je me
déterminai enfin à les retrancher tout à fait, parce que, n'étant
pas du ton de tout le reste, elles en auraient gâté la touchante
simplicité. J'eus une autre raison bien plus forte, quand je connus
madame de Luxembourg. C'est qu'il y avait dans ces aventures une
marquise romaine d'un caractère très odieux, dont quelques traits,
sans lui être applicables, auraient pu lui être appliqués par ceux
qui ne la connaissaient que de réputation. Je me félicitai donc
beaucoup du parti que j'avais pris, et m'y confirmai. Mais, dans
l'ardent désir d'enrichir son exemplaire de quelque chose qui ne
fût dans aucun autre, n'allai-je pas songer à ces malheureuses
aventures, et former le projet d'en faire l'extrait, pour l'y
ajouter. Projet insensé, dont on ne peut expliquer l'extravagance
que par l'aveugle fatalité qui m'entraînait à ma perte! Quos vult
perdere Jupiter dementat.
    J'eus la stupidité de faire cet extrait avec bien du soin, bien
du travail, et de lui envoyer ce morceau comme la plus belle chose
du monde; en la prévenant toutefois, comme il était vrai, que
j'avais brûlé l'original, que l'extrait était pour elle seule, et
ne serait jamais vu de personne, à moins qu'elle ne le montrât
elle-même: ce qui, loin de lui prouver ma prudence et ma
discrétion, comme je croyais faire, n'était que l'avertir du
jugement que je portais moi-même sur l'application des traits dont
elle aurait pu s'offenser. Mon imbécillité fut telle, que je ne
doutais pas qu'elle ne fût enchantée de mon procédé. Elle ne me fit
pas là-dessus les grands compliments que j'en attendais, et jamais,
à ma très grande surprise, elle ne me parla du cahier que je lui
avais envoyé. Pour moi, toujours charmé de ma conduite dans cette
affaire, ce ne fut que longtemps après que je jugeai, sur d'autres
indices, l'effet qu'elle avait produit.
    J'eus encore, en faveur de son manuscrit, une autre idée plus
raisonnable, mais qui, par des effets plus éloignés, ne m'a guère
été moins nuisible: tant tout concourt à l'œuvre de la destinée,
quand elle appelle un homme au malheur. Je pensai d'orner ce
manuscrit des dessins des estampes de la Julie, lesquels dessins se
trouvèrent être du même format que le manuscrit. Je demandai à
Coindet ces dessins, qui m'appartenaient à toutes sortes de titres,
et d'autant plus que je lui avais abandonné le produit des
planches, lesquelles eurent un grand débit. Coindet est aussi rusé
que je le suis peu. A force de se faire demander ces dessins, il
parvint à savoir ce que j'en voulais faire. Alors, sous prétexte
d'ajouter quelques ornements à ces dessins, il se les fit laisser,
et finit par les présenter lui-même. Ego versiculos feci, tulit
alter honores.
    Cela acheva de l'introduire à l'hôtel du Luxembourg sur un
certain pied. Depuis mon établissement au petit château, il m'y
venait voir très souvent, et toujours dès le matin, surtout quand
monsieur et madame de Luxembourg étaient à Montmorency. Cela
faisait que, pour passer avec lui une journée, je n'allais point au
château. On me reprocha ces absences: j'en dis la raison. On me
pressa d'amener M. Coindet; je le fis. C'était ce que le drôle
avait cherché. Ainsi, grâce aux bontés excessives qu'on avait pour
moi, un commis de M. Thélusson, qui voulait bien lui donner
quelquefois sa table quand il n'avait personne à dîner, se trouva
tout d'un coup admis à celle d'un maréchal de France, avec les
princes, les duchesses, et tout ce qu'il y avait de grand à la
cour. Je n'oublierai jamais qu'un jour qu'il était obligé de
retourner à Paris de bonne heure, M. le maréchal dit après le dîner
à la compagnie: Allons nous promener sur le chemin de Saint-Denis;
nous accompagnerons M. Coindet. Le pauvre garçon n'y tint pas; sa
tête s'en alla tout à fait. Pour moi, j'avais le cœur si ému, que
je ne pus dire

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