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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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comme si vous aviez peur
d'être prise au mot, et vous me faites des excuses pour m'apprendre
que je vous en dois. Oui, madame, je le sais bien; c'est moi qui
suis une bête, un bonhomme, et pis encore, s'il est possible; c'est
moi qui choisis mal mes termes, au gré d'une belle dame française
qui fait autant d'attention aux paroles et qui parle aussi bien que
vous. Mais considérez que je les prends dans le sens commun de la
langue, sans être au fait ou en souci des honnêtes acceptions qu'on
leur donne dans les vertueuses sociétés de Paris. Si quelquefois
mes expressions sont équivoques, je tâche que ma conduite en
détermine le sens, etc." Le reste de la lettre est à peu près sur
le même ton. Voyez-en la réponse (liasse D, no 41), et jugez de
l'incroyable modération d'un cœur de femme, qui peut n'avoir pas
plus de ressentiment d'une pareille lettre que cette réponse n'en
laisse paraître, et qu'elle ne m'en a jamais témoigné. Coindet,
entreprenant, hardi jusqu'à l'effronterie, et qui se tenait à
l'affût de tous mes amis, ne tarda pas à s'introduire en mon nom
chez madame de Verdelin, et y fut bientôt, à mon insu, plus
familier que moi-même. C'était un singulier corps que ce Coindet.
Il se présentait de ma part chez toutes mes connaissances, s'y
établissait, y mangeait sans façon. Transporté de zèle pour mon
service, il ne parlait jamais de moi que les larmes aux yeux; mais
quand il me venait voir, il gardait le plus profond silence sur
toutes ces liaisons, et sur tout ce qu'il savait devoir
m'intéresser. Au lieu de me dire ce qu'il avait appris, ou dit, ou
vu, qui m'intéressait, il m'écoutait, m'interrogeait même. Il ne
savait jamais rien de Paris que ce que je lui en apprenais; enfin,
quoique tout le monde me parlât de lui, jamais il ne me parlait de
personne: il n'était secret et mystérieux qu'avec son ami. Mais
laissons quant à présent Coindet et madame de Verdelin; nous y
reviendrons dans la suite.
    Quelque temps après mon retour à Mont-Louis, La Tour, le
peintre, m'y vint voir, et m'apporta mon portrait en pastel, qu'il
avait exposé au salon, il y avait quelques années. Il avait voulu
me donner ce portrait, que je n'avais pas accepté. Mais madame
d'Épinay, qui m'avait donné le sien et qui voulait avoir celui-là,
m'avait engagé à le lui redemander. Il avait pris du temps pour le
retoucher. Dans cet intervalle, vint ma rupture avec madame
d'Épinay; je lui rendis son portrait; et n'étant plus question de
lui donner le mien, je le mis dans ma chambre au petit château. M.
de Luxembourg l'y vit, et le trouva bien; je le lui offris, il
l'accepta; je le lui envoyai. Ils comprirent, lui et madame la
maréchale, que je serais bien aise d'avoir les leurs. Ils les
firent faire en miniature, de très bonne main, les firent enchâsser
dans une boîte à bonbons, de cristal de roche, montée en or, et
m'en firent le cadeau d'une façon très galante, dont je fus
enchanté. Madame de Luxembourg ne voulut jamais consentir que son
portrait occupât le dessus de la boîte. Elle m'avait reproché
plusieurs fois que j'aimais mieux M. de Luxembourg qu'elle; et je
ne m'en étais point défendu, parce que cela était vrai. Elle me
témoigna bien galamment, mais bien clairement, par cette façon de
placer son portrait, qu'elle n'oubliait pas cette préférence.
    Je fis, à peu près dans ce même temps, une sottise qui ne
contribua pas à me conserver ses bonnes grâces. Quoique je ne
connusse point du tout M. de Silhouette, et que je fusse peu porté
à l'aimer, j'avais une grande opinion de son administration.
Lorsqu'il commença d'appesantir sa main sur les financiers, je vis
qu'il n'entamait pas son opération dans un temps favorable; je n'en
fis pas des vœux moins ardents pour son succès, et quand j'appris
qu'il était déplacé, je lui écrivis dans mon étourderie la lettre
suivante, qu'assurément je n'entreprends pas de justifier.
    "A Montmorency, le 2 décembre 1759.
    Daignez, monsieur, recevoir l'hommage d'un solitaire qui n'est
pas connu de vous, mais qui vous estime par vos talents, qui vous
respecte par votre administration, et qui vous a fait l'honneur de
croire qu'elle ne vous resterait pas longtemps. Ne pouvant sauver
l'État qu'aux dépens de la capitale qui l'a perdu, vous avez bravé
les cris des gagneurs d'argent. En vous voyant écraser ces
misérables, je vous enviais votre place; en vous la voyant quitter
sans vous être démenti, je vous admire. Soyez

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