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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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le pavé de
Paris.
    Au sein de cette prospérité passagère, se préparait de loin la
catastrophe qui devait en marquer la fin. Peu de temps après mon
retour à Mont-Louis, j'y fis, et bien malgré moi, comme à
l'ordinaire, une nouvelle connaissance qui fait époque dans mon
histoire. On jugera dans la suite si c'est en bien ou en mal. C'est
madame la marquise de Verdelin, ma voisine, dont le mari venait
d'acheter une maison de campagne à Soisy, près de Montmorency.
Mademoiselle d'Ars, fille du comte d'Ars, homme de condition, mais
pauvre, avait épousé M. de Verdelin, vieux, laid, sourd, dur,
brutal, jaloux, balafré, borgne, au demeurant bon homme quand on
savait le prendre, et possesseur de quinze à vingt mille livres de
rentes, auxquelles on la maria. Ce mignon, jurant, criant,
grondant, tempêtant, et faisant pleurer sa femme toute la journée,
finissait par faire toujours ce qu'elle voulait, et cela pour la
faire enrager, attendu qu'elle savait lui persuader que c'était lui
qui le voulait, et que c'était elle qui ne le voulait pas. M. de
Margency, dont j'ai parlé, était l'ami de madame, et devint celui
de monsieur. Il y avait quelques années qu'il leur avait loué son
château de Margency, près d'Eaubonne et d'Andilly; et ils y étaient
précisément durant mes amours pour madame d'Houdetot. Madame
d'Houdetot et madame de Verdelin se connaissaient par madame
d'Aubeterre, leur commune amie; et comme le jardin de Margency
était sur le passage de madame d'Houdetot pour aller au Mont
Olympe, sa promenade favorite, madame de Verdelin lui donna une
clef pour passer. A la faveur de cette clef, j'y passais souvent
avec elle; mais je n'aimais point les rencontres imprévues; et
quand madame de Verdelin se trouvait par hasard sur notre passage,
je les laissais ensemble sans lui rien dire, et j'allais toujours
devant. Ce procédé peu galant n'avait pas dû me mettre en bon
prédicament auprès d'elle. Cependant, quand elle fut à Soisy, elle
ne laissa pas de me rechercher. Elle me vint voir plusieurs fois à
Mont-Louis, sans me trouver; et voyant que je ne lui rendais pas sa
visite, elle s'avisa, pour m'y forcer, de m'envoyer des pots de
fleurs pour ma terrasse. Il fallut bien l'aller remercier: c'en fut
assez. Nous voilà liés.
    Cette liaison commença par être orageuse, comme toutes celles
que je faisais malgré moi. Il n'y régna même jamais un vrai calme.
Le tour d'esprit de madame de Verdelin était par trop antipathique
avec le mien. Les traits malins et les épigrammes partent chez elle
avec tant de simplicité, qu'il faut une attention continuelle, et
pour moi très fatigante, pour sentir quand on est persiflé. Une
niaiserie, qui me revient, suffira pour en juger. Son frère venait
d'avoir le commandement d'une frégate en course contre les Anglais.
Je parlais de la manière d'armer cette frégate, sans nuire à sa
légèreté. Oui, dit-elle d'un ton tout uni, l'on ne prend de canon
que ce qu'il en faut pour se battre. Je l'ai rarement ouï parler en
bien de quelqu'un de ses amis absents, sans glisser quelque mot à
leur charge. Ce qu'elle ne voyait pas en mal, elle le voyait en
ridicule, et son ami Margency n'était pas excepté. Ce que je
trouvais encore en elle d'insupportable était la gêne continuelle
de ses petits envois, de ses petits cadeaux, de ses petits billets,
auxquels il fallait me battre les flancs pour répondre; et toujours
nouveaux embarras pour remercier ou pour refuser. Cependant, à
force de la voir, je finis par m'attacher à elle. Elle avait ses
chagrins, ainsi que moi. Les confidences réciproques nous rendirent
intéressants nos tête-à-tête. Rien ne lie tant les cœurs que la
douceur de pleurer ensemble. Nous nous cherchions pour nous
consoler, et ce besoin m'a souvent fait passer sur beaucoup de
choses. J'avais mis tant de dureté dans ma franchise avec elle,
qu'après avoir montré quelquefois si peu d'estime pour son
caractère, il fallait réellement en avoir beaucoup pour croire
qu'elle pût sincèrement me pardonner. Voici un échantillon des
lettres que je lui ai quelquefois écrites, et dont il est à noter
que jamais, dans aucune de ses réponses, elle n'a paru piquée en
aucune façon.
    "A Montmorency, le 5 novembre 1760.
    Vous me dites, madame, que vous ne vous êtes pas bien expliquée,
pour me faire entendre que je m'explique mal. Vous me parlez de
votre prétendue bêtise, pour me faire sentir la mienne. Vous vous
vantez de n'être qu'une bonne femme,

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