Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
Vom Netzwerk:
avait marqué quelque
curiosité de me connaître. Elle m'interrogeait quelquefois; elle
était bien aise que je lui montrasse les lettres que j'écrivais à
madame de Warens, que je lui rendisse compte de mes sentiments;
mais elle ne s'y prenait assurément pas bien pour les connaître, en
ne me montrant jamais les siens. Mon cœur aimait à s'épancher,
pourvu qu'il sentît que c'était dans un autre. Des interrogations
sèches et froides, sans aucun signe d'approbation ni de blâme sur
mes réponses, ne me donnaient aucune confiance. Quand rien ne
m'apprenait si mon babil plaisait ou déplaisait, j'étais toujours
en crainte, et je cherchais moins à montrer ce que je pensais qu'à
ne rien dire qui pût me nuire. J'ai remarqué depuis que cette
manière sèche d'interroger les gens pour les connaître est un tic
assez commun chez les femmes qui se piquent d'esprit. Elles
s'imaginent qu'en ne laissant point paraître leur sentiment elles
parviendront à mieux pénétrer le vôtre: mais elles ne voient pas
qu'elles ôtent par là le courage de le montrer. Un homme qu'on
interroge commence par cela seul à se mettre en garde; et s'il
croit que, sans prendre à lui un véritable intérêt, on ne veut que
le faire jaser, il ment, ou se tait, ou redouble d'attention sur
lui-même, et aime encore mieux passer pour un sot que d'être dupe
de votre curiosité. Enfin c'est toujours un mauvais moyen de lire
dans le cœur des autres que d'affecter de cacher le sien.
    Madame de Vercellis ne m'a jamais dit un mot qui sentît
l'affection, la pitié, la bienveillance. Elle m'interrogeait
froidement; je répondais avec réserve. Mes réponses étaient si
timides qu'elle dut les trouver basses et s'en ennuya. Sur la fin
elle ne me questionnait plus, ne me parlait plus que pour son
service. Elle me jugea moins sur ce que j'étais que sur ce qu'elle
m'avait fait; et à force de ne voir en moi qu'un laquais, elle
m'empêcha de lui paraître autre chose.
    Je crois que j'éprouvai dès lors ce jeu malin des intérêts
cachés qui m'a traversé toute ma vie, et qui m'a donné une aversion
bien naturelle pour l'ordre apparent qui les produit. Madame de
Vercellis, n'ayant point d'enfants, avait pour héritier son neveu
le comte de la Roque, qui lui faisait assidûment sa cour. Outre
cela, ses principaux domestiques, qui la voyaient tirer à sa fin,
ne s'oubliaient pas; et il y avait tant d'empressés autour d'elle,
qu'il était difficile qu'elle eût du temps pour penser à moi. A la
tête de sa maison était un nommé M. Lorenzi, homme adroit, dont la
femme, encore plus adroite, s'était tellement insinuée dans les
bonnes grâces de sa maîtresse, qu'elle était plutôt chez elle sur
le pied d'une amie que d'une femme à ses gages. Elle lui avait
donné pour femme de chambre une nièce à elle, appelée mademoiselle
Pontal, fine mouche, qui se donnait des airs de demoiselle
suivante, et aidait sa tante à obséder si bien leur maîtresse,
qu'elle ne voyait que par leurs yeux et n'agissait que par leurs
mains. Je n'eus pas le bonheur d'agréer à ces trois personnes: je
leur obéissais, mais je ne les servais pas; je n'imaginais pas
qu'outre le service de notre commune maîtresse je dusse être encore
le valet de ses valets. J'étais d'ailleurs une espèce de personnage
inquiétant pour eux. Ils voyaient bien que je n'étais pas à ma
place; ils craignaient que madame ne le vît aussi, et que ce
qu'elle ferait pour m'y mettre ne diminuât leurs portions: car ces
sortes de gens, trop avides pour être justes, regardent tous les
legs qui sont pour d'autres comme pris sur leur propre bien. Ils se
réunirent donc pour m'écarter de ses yeux. Elle aimait à écrire des
lettres; c'était un amusement pour elle dans son état: ils l'en
dégoûtèrent et l'en firent détourner par le médecin, en la
persuadant que cela la fatiguait. Sous prétexte que je n'entendais
pas le service, on employait au lieu de moi deux gros manants de
porteurs de chaise autour d'elle: enfin l'on fit si bien, que,
quand elle fit son testament, il y avait huit jours que je n'étais
entré dans sa chambre. Il est vrai qu'après cela j'y entrai comme
auparavant, et j'y fus même plus assidu que personne, car les
douleurs de cette pauvre femme me déchiraient; la constance avec
laquelle elle les souffrait me la rendait extrêmement respectable
et chère, et j'ai bien versé, dans sa chambre, des larmes sincères,
sans qu'elle ni personne s'en aperçût.
    Nous la perdîmes

Weitere Kostenlose Bücher