Les Conjurés De Pierre
sans savoir véritablement où elle allait. Elle n’avait qu’une idée en tête : partir, fuir le bailli Melchior.
Elle fit une pause et, frissonnant, scruta l’obscurité en cherchant à identifier les bruits à l’entour.
Elle avait l’impression d’entendre les murmures et les rires de petits enfants. Elle continua d’avancer et aperçut un ruisseau qui serpentait nonchalamment en bordure de la forêt.
Un air glacial montait des eaux. Elle n’arrivait toujours pas à respirer calmement ; il lui fallait constamment reprendre son souffle.
Ses pieds nus la faisaient terriblement souffrir. Pourtant, elle n’osait pas enfiler les précieuses chaussures qu’elle avait emportées dans son balluchon.
à bout de forces, Afra finit par se laisser tomber au pied d’un peuplier noueux sur le bord du ruisseau.
Elle recroquevilla ses jambes, posa la tête sur son avant-bras et s’endormit.
Elle sommeilla jusqu’au moment où le doute s’insinua dans son esprit : sa fuite n’était-elle pas un peu prématurée ?
Melchior von Rabenstein était un monstre répugnant, certes, et nul ne sait quelles violences il lui aurait encore fait subir ; mais cela eut-il été pire que de mourir de faim et de froid au fond des bois ? Afra n’avait rien à manger, rien pour s’abriter, et elle ne savait ni où elle était, ni où elle voulait aller.
Quant à finir sur le bûcher pour sorcellerie… Afra sortit de son balluchon une grande pèlerine de gros drap dont elle s’enveloppa et essaya de se rendormir.
Mais elle n’y parvint pas tant les idées se bousculaient dans sa tête. Lorsqu’après une nuit blanche elle ouvrit les yeux, elle découvrit à ses pieds le ruisseau qui clapotait dans la lumière matinale.
Des nuées blanchâtres rampaient à la surface de l’eau d’où s’élevaient des relents de poisson et de vase.
Et maintenant, quelle direction prendre sans aucun point de repère ? Si Afra connaissait l’existence des cartes, ces parchemins où figurent les fleuves, les vallées, les villes et les montagnes en minuscule comme vus par un oiseau – cela tenait-il du miracle ou de la magie ? – elle n’en avait jamais vues. Indécise, elle regardait le petit cours d’eau.
Cette eau qui s’écoule va bien se jeter quelque part, se dit-elle. Elle prit donc la décision de suivre le ruisseau qui rejoindrait une rivière.
Une fois là, il y aurait forcément une ville. Ramassant son balluchon, elle partit en suivant les méandres du ruisseau.
Non loin du chemin, Afra aperçut de grosses myrtilles luisantes et appétissantes à la lisière de la forêt. Elle en cueillit une poignée dans le creux de la main et les avala d’un trait.
Leur goût acide réveilla son esprit engourdi. Elle accéléra le pas comme si elle avait un rendez-vous à une heure précise.
Aux environs de midi, après avoir parcouru à peu près une quinzaine de lieues, Afra aperçut un énorme tronc qui, enjambant le ruisseau, aboutissait sur la rive opposée à un étroit sentier menant à une clairière.
Se fiant à son intuition, elle décida de ne pas traverser le ruisseau et, à défaut de but précis, poursuivit son chemin vers l’aval jusqu’au moment où une odeur de fumée lui signala la présence d’une maison dans les parages.
Afra préparait d’avance les réponses aux questions qu’on ne manquerait pas de lui poser. Une jeune femme toute seule sur les routes attirait la curiosité. Elle n’était pas très douée pour inventer des histoires. La vie ne lui avait appris que la dure réalité des choses. Elle résolut donc de dire simplement la vérité : qu’elle avait été violée par le bailli, qu’elle avait fui pour se soustraire à ses violences et enfin qu’elle était prête à accepter n’importe quel travail moyennant le vivre et le couvert.
Elle ressassait toujours ces pensées lorsque la forêt, qu’elle longeait depuis une nuit et un jour, s’éclaircit brusquement et s’ouvrit sur un vaste paysage de plaine. Au milieu d’une prairie, elle vit un moulin.
De l’endroit où elle se trouvait, elle entendait déjà le bruit régulier de la roue située à une demi-lieue.
Afin de ne pas se faire remarquer, Afra resta à distance pour observer les bœufs tirant vers le sud une charrette chargée de gros sacs. Le paysage dégageait une atmosphère si paisible qu’Afra se rapprocha du moulin sans la moindre inquiétude.
— Holà ! D’où viens-tu donc comme ça ? Que
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