Les Conjurés De Pierre
voir ce qu’on peut sauver.
Afra prit le plus jeune dans ses bras et attrapa la petite fille par la main. Puis elle descendit prudemment l’escalier pentu.
En bas, l’eau formait de gros tourbillons. Deux tabourets, des sabots et une douzaine de souris et de rats flottaient à la surface des eaux noires. L’horrible bouillon saumâtre atteignait maintenant ses genoux. Elle tenait le petit contre elle et serrait fermement la main de la fillette au point d’en avoir mal.
La petite gémissait sans verser une larme.
— Voilà, nous y sommes ! lui dit Afra pour la rassurer.
Non loin du moulin, se trouvait la charrette que les paysans du coin utilisaient pour transporter les sacs de grains. Afra hissa les enfants dessus en leur disant de ne pas bouger.
Puis elle repartit pour aller chercher les deux autres. Ses jupes longues trempées entravaient ses pas et menaçaient de la faire tomber dans l’eau.
Elle s’approchait de l’escalier quand elle vit la meunière descendre avec les deux enfants.
— Que fais-tu donc encore ici ? hurla la meunière en colère.
Afra la laissa passer sans répondre. Elle monta au premier où le meunier et les valets rassemblaient ce qui leur tombait sous la main.
— File ! La maison risque de s’écrouler à tout moment, lui ordonna le meunier. Elle entendit de sinistres craquements dans la charpente. Le mortier entre les colombages commençait déjà à s’effriter. Pris de panique, les valets se précipitèrent dans l’escalier.
— Où est mon balluchon ? s’écria Afra sur un ton angoissé.
Le meunier, agacé, secoua la tête en lui montrant le coin où elle avait déposé quelques jours auparavant ses affaires. Afra attrapa son balluchon et le serra contre elle, comme s’il s’était agi d’un précieux trésor, puis resta un instant sans pouvoir bouger.
— Que le Seigneur te vienne en aide ! La voix du meunier, qui s’enfuyait, la ramena à la réalité. Elle sentit le moulin tanguer comme un bateau sur les vagues. Elle courut vers l’escalier en serrant son balluchon contre sa poitrine, descendit une, deux, puis une troisième marche lorsque la toiture s’effondra sur elle. Les poutres de la charpente ployèrent et se brisèrent comme du bois mort dans un gros nuage de poussière.
Afra reçut un coup sur la tête, et allait s’évanouir quand elle sentit qu’on l’attrapait fermement par le bras et qu’on la tirait.
Elle se traîna, épuisée, dans l’eau et une fois arrivée sur la terre ferme, se laissa choir sur le sol.
Elle crut rêver en voyant le moulin vaciller, puis s’incliner lentement du côté de la roue avant de tomber lourdement sur le flanc comme un taureau abattu. Il y eut un craquement effroyable, aussi sinistre que celui d’un arbre centenaire déraciné par une tempête.
Puis le calme revint, un calme étrange que seul venait troubler le bruit des eaux tumultueuses.
Subitement, le soleil perça à travers les nuages bas projetant sur la scène un éclairage lugubre.
Ce qui restait du moulin émergeait comme une île au milieu des flots bouillonnants et tourbillonnants. Le meunier observait le spectacle d’un œil hagard, comme s’il n’avait pas encore bien compris ce qui venait de se passer. Sa femme sanglotait, les mains plaquées sur ses lèvres. Les enfants regardaient leurs parents avec des yeux terrifiés. L’un des valets tenait toujours fermement le bras d’Afra.
Une odeur nauséabonde se dégageait des ruines du moulin. Des rats cherchaient en couinant des endroits pour se réfugier.
Ils passèrent la nuit et la journée suivantes à proximité, dans une hutte, jusqu’à ce que la décrue s’amorce enfin. Personne, pas même les enfants, ne prononça le moindre mot.
Le meunier retrouva le premier l’usage de la parole :
— Voilà où nous en sommes rendus, dit-il en gardant la tête baissée et en esquissant un geste las. Plus de toit, plus rien à manger. Nous avons tout perdu. Qu’allons-nous devenir ?
La meunière tourna la tête de gauche à droite.
Le meunier regarda Afra et les valets :
— Partez, allez chercher une autre maison, un autre travail qui vous permette de manger tous les jours. Vous voyez bien que nous n’avons plus rien à vous offrir. Il ne nous reste plus que nos enfants. Je ne sais même pas comment nous allons faire pour les nourrir. Vous devez comprendre…, termina-t-il à voix basse.
— Meunier, nous te comprenons ! répondit Lambert, le valet.
Il
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