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Les conquérants de l'île verte

Les conquérants de l'île verte

Titel: Les conquérants de l'île verte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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profond de l’épopée celtique.
    Il y a donc dans cet amas de récits apparemment indépendants
une cohérence qui sous-tend un ensemble de situations régies selon les coutumes
et les croyances des anciens Celtes. Une comparaison s’impose dès lors, même si
elle semble paradoxale : les divers récits recueillis dans les manuscrits
irlandais forment une véritable saga (bien que ce terme
soit réservé aux ensembles scandinaves), analogue à celle qu’Honoré de Balzac a
tentée en écrivant les multiples épisodes autonomes de La
Comédie humaine . Tout y est, en effet : des tranches de vie
quotidienne, des luttes perpétuelles d’influence, des vocations des requins aux
dents longues, des sacrifices d’innocents, des histoires d’amour à faire
pleurer, des meurtres, des malhonnêtetés, des prouesses héroïques, des délires
poétiques ou prophétiques, et mille autres choses encore qui sont communes à
l’ancienne épopée celtique comme au génie romanesque d’un écrivain romantique
bien souvent inspiré par les voix de l’invisible.
    Il ne s’agit pas là d’une provocation : la saga romanesque de Balzac est inconsciemment nourrie de
mythes qui s’expriment à travers la société telle qu’elle existait dans la
première moitié du XIX e  siècle. Les personnages
qui hantent La Comédie humaine , qui apparaissent
d’ailleurs çà et là, apparemment en désordre, dans divers récits épisodiques,
sont à l’analyse absolument indispensables au plan d’ensemble qu’a rêvé
l’auteur. Ils sont tous des archétypes , et l’on
pourrait facilement les identifier à tel ou tel héros, non seulement de
l’épopée celtique d’Irlande, mais de l’épopée humaine en général. Pour le cas
présent, le naïf mais redoutable Rastignac a son correspondant irlandais dans
Lug au Long Bras et dans son prolongement humanisé Cûchulainn ; le timide
Rubempré se retrouve dans le touchant personnage de Dermot ( Diarmaid ),
et la pauvre Esther Gobseck dans celui de la Déirdré tant vantée par John
Millington Synge, image parfaite de l’Irlande prostituée et martyre. Quant à
Vautrin, être protéiforme s’il en fut, c’est le Thersite grec, le Löki
germano-scandinave et le Bricriu irlandais, autrement dit l’une des images
fondatrices du Diable médiéval, le symbole même du Tentateur qui, pour mieux
semer la discorde, se dissimule sous les traits bienveillants du dieu Ogma à la
parole dorée ou encore sous ceux d’un étrange Cûroi mac Daeré qui change de
forme et d’aspect chaque fois qu’il veut tromper un rival. Honoré de Balzac ne
connaissait strictement rien du légendaire irlandais, mais le génie d’un
artiste de n’importe quelle époque est de retrouver à travers sa création
propre les grands mythes fondateurs de l’humanité, ces mythes impérissables qui
constituent la structure de la pensée humaine et qui se manifestent au moyen
d’images et de symboles véhiculés depuis la nuit des temps. Et son exemple
n’est pas le seul que l’on puisse citer.
    Cela dit, de cette somme d’épisodes précieusement recueillis
par les transcripteurs irlandais, des personnages surgissent, avec leurs
caractéristiques essentielles, avec leur valeur symbolique, avec leur place
dans la société et dans la structure mentale des Celtes. Et le moins qu’on
puisse dire, c’est qu’ils sont « hauts en couleur », toujours
inoubliables, tant leur puissance d’évocation agit sur l’imaginaire. Il serait
tentant de les qualifier de « divins » si l’épithète avait une
véritable signification dans l’esprit des conteurs : tout laisse à penser
en effet que les druides professaient l’existence d’un dieu unique,
incommunicable et innommable, auquel on donnait parfois des apparences humaines
pour le rendre intelligible. En fait, les personnages « divins » qui
rôdent dans l’épopée celtique ne sont que des fonctions
divines matérialisées, concrétisées, incarnées par des êtres qui, en
dépit de caractéristiques parfaitement humaines, sont doués de pouvoirs
surnaturels ou magiques : ce sont des hommes et des femmes qui, par nature
ou par une patiente initiation, ont atteint un très haut degré de sagesse et de
puissance et se sont assimilés à telles fonctions divines dont ils sont les
agents et les régisseurs.
    C’est dire qu’ils diffèrent profondément des
« acteurs » de l’épopée grecque, dieux ou demi-dieux, qui, classés
une fois

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