Les conquérants de l'île verte
tous », Dagda a de
nombreux enfants, avec lesquels il entretient des rapports on ne peut plus
ambigus. De sa sœur – ou fille – Boann, éponyme du fleuve Boyne, il a, à la
suite de manœuvres parfaitement dilatoires, un fils qui portera le nom d’Œngus
(Angus) et le surnom de Mac Oc , c’est-à-dire de
« jeune fils ». Œngus est l’un des personnages les plus célèbres de
la tradition gaélique, l’un des plus répandus dans la mémoire populaire, même à
notre époque. Roi féerique, il est le maître du plus célèbre cairn mégalithique
du monde, celui de Newgrange (en gaélique, Sidh-na-Brug ou Brug-na-Boyne ), autour duquel s’articulent les
grandes légendes de la tradition épique irlandaise. Et s’il est d’essence
divine, il ne répugne pas à venir se mêler aux humains, à participer à leurs
jeux, à leurs débats, à leurs querelles. Certains contes populaires le
décrivent toujours présent quelque part, dans un bosquet, et prêt à intervenir
chaque fois que l’ordre du monde est bouleversé. Ce « jeune fils »
est en somme une sorte de conscience universelle, toujours latente dans
l’esprit humain mais capable de se réveiller pour accomplir les plus grands
miracles ou infliger les pires châtiments.
Tous ces membres fantastiques des tribus de la déesse Dana
forment une sorte de société idéale fortement marquée par les structures
celtiques. Chacun d’eux est « roi » dans son domaine,
« règne » sur un palais merveilleux, en fait un tertre
mégalithique ; mais il existe entre tous des liens qui peuvent être aussi
bien d’allégeance pure et simple que familiaux ou seulement contractuels. Après
la bataille de Tailtiu et le partage de l’Irlande avec les Milésiens, c’est
Dagda qui, dans la hiérarchie, occupe le premier rang, telle une sorte de roi
suprême nanti d’une autorité morale incontestable et des pouvoirs de justice.
Mais cette prééminence se retrouve dans le personnage de Mananann, fils de Lîr,
éponyme de l’île de Man : lui, règne sur la mystérieuse « Terre de la
promesse », qu’on appelle également Tir-na-nOg ou
encore le « Pays de l’Éternelle Jeunesse », autrement dit une espèce
de paradis situé quelque part dans des îles lointaines, à l’ouest bien sûr,
îles étranges qui abritent des vergers merveilleux et de grands espaces connus
sous le nom de Mag Mell ou « Plaine des
Fées ». Il arrive cependant que ces domaines soient situés sous un lac,
voire sous la mer : l’Autre Monde, chez les Celtes, est toujours à
proximité immédiate du monde des vivants, et ceux-ci peuvent souvent y
pénétrer. Quant aux « bonnes gens », terme populaire qui désigne les
êtres féeriques, ils parcourent le monde humain sans problème : ils ont le
don d’invisibilité et peuvent apparaître sous un aspect humain quand ils le
désirent, à moins qu’ils ne se montrent sous forme d’oiseaux, cas le plus
fréquent lorsqu’il s’agit de femmes.
Parmi tous ces personnages, Dagda, Mider, Œngus, Mananann et
bien d’autres encore, il en est un qui semble autrement marginal et qui échappe
à toute hiérarchie, c’est Lug auquel sont accolées deux épithètes, Lamfada , c’est-à-dire « au long bras », et Samildanach , « multiple artisan ». Avec lui se
dessine la figure de la divinité celtique la plus répandue, non seulement en
Irlande mais sur tout le continent européen, et il a laissé son nom dans bien
des villes, telles Lyon, Laon, Loudun, Leyde et Leipzig, qui dérivent de
l’ancienne appellation lugudunum , « forteresse de
Lug ». C’est de lui que Jules César, dans ses Commentaires ,
fait un Mercure gaulois, précisant qu’il est le dieu le plus honoré de toute la
Gaule. Son origine est double : il fait partie des Tuatha
Dé Danann par son père, mais des Fomoré par sa
mère, grâce à quoi, lors de la seconde bataille de Mag-Tured (Moytura), il est
le seul, susceptible d’affronter victorieusement son grand-père, Balor à l’œil
pernicieux, et de le tuer. Dans cette bataille, d’ailleurs, il sera, sans
occuper aucun poste hiérarchique, l’organisateur par excellence, l’artisan de
la victoire finale. C’est qu’il est un dieu hors fonction ,
rassemblant en lui toutes les fonctions réparties entre les autres dieux :
il est réellement le « Multiple artisan », comme le sera bien plus
tard, dans la légende arthurienne, Lancelot du Lac, son image, en fait,
héroïsée et
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