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Les croisades vues par les arabes

Les croisades vues par les arabes

Titel: Les croisades vues par les arabes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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ne pas indisposer l'empereur. Mais celui-ci, lorsque je vins le voir le lendemain, m'interrogea : « O cadi, pourquoi les muezzins n'ont-ils pas appelé à la prière comme d'habitude? » Je répondis : « C'est moi qui les ai empêchés de le faire par égard pour ta majesté. - Tu n'aurais pas dû agir ainsi, dit l'empereur, car si j'ai passé cette nuit à Jérusalem, c'est surtout pour entendre l'appel du muezzin dans la nuit.
    Lors de sa visite au Dôme-du-Rocher, Frédéric lit une inscription disant : Salaheddin a purifié cette ville sainte des mouchrikin . Ce terme, qui signifie les « associationnistes » ou même les « polythéistes », se réfère à ceux qui associent d'autres divinités au culte du Dieu unique. Il désigne en particulier, dans ce contexte, les chrétiens, adeptes de la Trinité. Feignant de l'ignorer, l'empereur, avec un sourire amusé, demande à ses hôtes embarrassés qui pourraient bien être ces « mouchrikin ». Quelques minutes plus tard, voyant un grillage à l'entrée du Dôme, il s'interroge sur son utilité. « C'est pour empêcher les oiseaux d'entrer dans ce lieu », lui répond-on. Devant ses interlocuteurs sidérés, Frédéric commente l'allusion visant évidemment les Franj : « Et dire que Dieu a permis aux porcs d'y pénétrer! » Le chroniqueur de Damas, Sibt Ibn al-Jawzi, qui est, en 1229, un brillant orateur de quarante-trois ans, voit dans ces réflexions la preuve que Frédéric n'est ni chrétien ni musulman, mais très certainement athée . Il ajoute, se fiant aux témoignages de ceux qui l'ont approché à Jérusalem, que l'empereur était de poil roux, chauve et myope; s'il avait été un esclave, il n'aurait pas valu deux cents dirhams . 
    L'hostilité de Sibt envers l'empereur reflète le sentiment de la grande majorité des Arabes. En d'autres circonstances, on aurait sans doute apprécié l'attitude amicale de l'empereur à l'égard de l'islam et de sa civilisation. Mais les termes du traité signé par al-Kamel scandalisent l'opinion. Dès que la nouvelle de la livraison de la Ville sainte aux Franj fut connue, dit le chroniqueur, une véritable tempête secoua tous les pays d'islam. En raison de la gravité de l'événement, on organisa des manifestations publiques de deuil. A Baghdad, à Mossoul, à Alep, on se réunit dans les mosquées pour dénoncer la trahison d'al-Kamel. C'est tout- tefois à Damas que la réaction est la plus violente. Le roi an-Nasser me demanda de rassembler le peuple dans la grande mosquée de Damas, raconte Sibt, pour que je parle de ce qui était advenu à Jérusalem . Je ne pouvais qu'accepter, car mes devoirs envers la foi me le dictaient.  
    C'est en présence d'une foule déchaînée que le chroniqueur-prédicateur monte en chaire, la tête ceinte d'un turban de soie noire : « La nouvelle désastreuse que nous avons reçue a brisé nos cœurs. Nos pèlerins ne pourront plus se rendre à Jérusalem, les versets du Coran ne seront plus récités dans ses écoles. Qu'elle est grande aujourd'hui la honte des dirigeants musulmans! » An-Nasser assiste en personne à la manifestation. Entre lui et son oncle al-Kamel, une guerre ouverte est déclarée. D'autant qu'au moment où celui-ci livre Jérusalem à Frédéric l'armée égyptienne impose un sévère blocus à Damas. Pour la population de la métropole syrienne, solidement unie autour de son jeune souverain, la lutte contre la trahison du maître du Caire devient un thème de mobilisation. L'éloquence de Sibt ne suffira toutefois pas à sauver Damas. Disposant d'une écrasante supériorité numérique, al-Kamel sort vainqueur de cet affrontement, obtenant la capitulation de la ville et rétablissant à son profit l'unité de l'empire ayyoubide. 
    Dès juin 1229, an-Nasser devra abandonner sa capitale. Amer, mais nullement désespéré, il s'installe à l'est du Jourdain, dans la forteresse de Kerak, où il va apparaître, durant les années de trêve, comme le symbole de la fermeté face à l'ennemi. Beaucoup de Damascains restent attachés à sa personne, et de nombreux militants religieux, déçus par la politique exagérément conciliatrice des autres Ayyoubides, gardent l'espoir, grâce à ce jeune prince fougueux qui incite ses pairs à poursuivre le jihad contre les envahisseurs. Qui d'autre que moi , écrit-il, déploie tous ses efforts pour protéger l'islam ? Oui d'autre se bat en toutes circonstances pour la cause de Dieu ? En novembre 1239, cent jours

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