Les croisades vues par les arabes
courageusement résisté à la dernière expédition franque trente ans plus tôt, est abandonnée cette fois sans combat. Sa chute, qui sème le désarroi dans le monde arabe, révèle brutalement l'affaiblissement extrême des héritiers du grand Saladin. Le sultan Ayyoub, immobilisé par la tuberculose, incapable de prendre le commandement de ses troupes, préfère, plutôt que de perdre l'Egypte, renouer avec la politique de son père al-Kamel en proposant à Louis d'échanger Damiette contre Jérusalem. Mais le roi de France refuse de traiter avec un « infidèle » vaincu et moribond. Ayyoub décide alors de résister et se fait transporter en litière vers la ville de Mansourah, « la victorieuse » construite par al-Kamel sur le lieu même où avait été défaite la précédente invasion franque. Malheureusement la santé du sultan décline rapidement. Secoué par des accès de toux qui semblent ne jamais devoir s'arrêter, il tombe dans le coma, le 20 novembre, alors que les Franj, encouragés par la décrue du Nil, quittent Damiette en direction de Mansourah. Trois jours plus tard, au grand désarroi de son entourage, il meurt.
Comment annoncer à l'armée et au peuple que le sultan est mort alors que l'ennemi est aux portes de la ville et que le fils d’Ayyoub, Touranshah, se trouve quelque part au nord de l’Irak, à plusieurs semaines du retour? C'est alors qu'intervient un personnage providentiel : Chajarat-ad-dorr, « l'arbre aux joyaux », une esclave d'origine arménienne, belle et rusée, qui est depuis des années l'épouse préférée d'Ayyoub. Rassemblant les familiers du sultan, elle leur ordonne de garder le silence jusqu'à l'arrivée de l'héritier et demande même au vieil émir Fakhreddin, l'ami de Frédéric, d'écrire une lettre au nom du sultan pour appeler les musulmans au jihad. Selon l'un des collaborateurs de Fakhreddin, le chroniqueur syrien Ibn Wassel, le roi de France aurait appris très tôt la mort d’Ayyoub, ce qui l'aurait encouragé à accentuer sa pression militaire. Mais, dans le camp égyptien, le secret est gardé suffisamment longtemps pour que soit évitée une démoralisation des troupes.
Si, tout au long des mois d'hiver, la bataille fait rage autour de Mansourah, le 10 février 1250, à la faveur d'une trahison, l'armée franque pénètre par surprise à l'intérieur de la ville. Ibn Wassel qui était alors au Caire raconte :
L'émir Fakhreddin était dans son bain quand on vint lui annoncer la nouvelle. Eberlué, il sauta immédiatement en selle sans armure, sans cotte de mailles, pour aller voir ce qu'il en était. Il fut attaqué par une troupe d'ennemis qui le tua. Le roi des Franj entra dans la ville, atteignant même le palais du sultan; ses soldats se répandirent dans les rues, tandis que les militaires musulmans et les habitants cherchaient le salut dans une fuite désordonnée. L'islam semblait monellement atteint, et les Franj allaient cueillir le fruit de la victoire lorsque arrivèrent les Mamelouks turcs. Comme l'ennemi s'était dispersé dans les rues, ces cavaliers se lancèrent vaillamment à l'assaut. Partout les Franj étaient surpris et massacrés à coups d'épée ou de masse. Au début de la journée, les pigeons avaient porté au Caire un message qui annonçait l'attaque des Franj sans souffler mot de l'issue de la bataille, aussi étions-nous dans l'angoisse. Tout le monde demeura triste dans les quartiers de la cité jusqu'au lendemain, lorsque de nouveaux messages nous apprirent la victoire des lions turcs. Ce fut la fête dans les rues du Caire.
Durant les semaines suivantes, le chroniqueur va observer, à partir de la capitale égyptienne, deux séries d'événements parallèles qui vont changer le visage de l'Orient arabe : d'un côté, la lutte victorieuse contre la dernière grande invasion franque; de l'autre, une révolution unique dans l’Histoire, puisqu'elle va porter au pouvoir, pour près de trois siècles, une caste d'officiers-esclaves.
Après sa défaite à Mansourah, le roi de France réalise que sa position militaire devient intenable. Incapable de prendre la ville, harcelé de toutes parts par les Egyptiens dans un terrain boueux, traversé d'innombrables canaux, Louis décide de négocier. Début mars, il adresse à Touranshah, qui vient d'arriver en Egypte, un message conciliant où il se dit prêt à accepter la proposition faite par Ayyoub de rendre Damiette en échange de Jérusalem. La réponse du
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