Les croisades vues par les arabes
après l'expiration de la trêve, an-Nasser, à la faveur d'un raid-surprise, s'empare de Jérusalem. C'est dans tout le monde arabe une explosion de joie. Les poètes comparent le vainqueur à son grand-oncle Saladin et le remercient d'avoir ainsi lavé l'affront causé par la trahison d'al-Kamel.
Ceux qui font son apologie omettent toutefois de dire qu'an-Nasser s'était réconcilié avec le maître du Caire peu avant la mort de ce dernier en 1238, espérant sans doute qu'il lui redonnerait ainsi le gouvernement de Damas. De même, les poètes évitent de relever que le prince ayyoubide n'a pas cherché à garder Jérusalem après sa reprise; estimant la cité indéfendable, il s'est dépêché de détruire la tour de David ainsi que d'autres fortifications récemment bâties par les Franj, avant de se retirer avec ses troupes à Kerak. La ferveur n'exclut pas le réalisme politique ou militaire, pourrait-on dire. Le comportement ultérieur du dirigeant jusqu'au-boutiste ne manque pourtant pas d’intriguer. Au cours de l'inévitable guerre de succession qui suit la disparition d'al-Kamel, an-Nasser n'hésite pas à proposer aux Franj une alliance contre ses cousins. Afin d’appater les Occidentaux, il reconnaît officiellement en 1243 leurs droits sur Jérusalem, offrant même de retirer les hommes de religion musulmane du Haram ach-Charif. Al-Kamel n'était jamais allé aussi loin dans la compromission!
SIXIÈME PARTIE
L’EXPULSION (1224-1291)
Attaqués par les Mongols - les Tatars - à l'est et par les Franj à l'ouest, les musulmans n'ont jamais été placés dans une position aussi critique. Seul Dieu peut encore leur porter secours.
Ibn AL-ATHIR.
CHAPITRE XIII
LE FOUET MONGOL
Les événements que je vais raconter sont si horribles que pendant des années j'ai évité d'y faire allusion. Il n'est pas facile d'annoncer que la mort s'est abattue sur l'islam et les musulmans. Ah! J'aurais voulu que ma mère ne me mette pas au monde, ou alors que je meure sans avoir été témoin de tous ces malheurs. Si l'on vous disait un jour que la Terre n'a jamais connu semblable calamité depuis que Dieu a créé Adam, n'hésitez pas à le croire, car telle est la stricte vérité. Parmi les drames les plus célèbres de l'histoire, on cite généralement le massacre des fils d’Israël par Nabuchodonosor et la destruction de Jérusalem. Mais cela n'est rien en comparaison de ce qui vient de se produire. Non, jusqu'à la fin des temps, on ne verra sans doute jamais une catastrophe d'une telle ampleur.
A travers sa volumineuse Histoire parfaite , Ibn al-Athir n'adopte à aucun moment un ton aussi pathétique. Sa tristesse, son effroi et son incrédulité explosent page après page, retardant, comme par superstition, l'instant où doit enfin être prononcé le nom du fléau : Gengis Khan.
L'ascension du conquérant mongol a commencé peu après la mort de Saladin, mais c'est seulement un quart de siècle plus tard que les Arabes ont senti l'approche de la menace. Gengis Khan s'est d'abord employé à rassembler sous son autorité les diverses tribus turques et mongoles d'Asie centrale avant de se lancer à la conquête du monde. Dans trois directions : à l'est, où l'empire chinois a été vassalisé puis annexé; au nord-ouest, où la Russie puis l'Europe orientale ont été dévastées; à l'ouest, où la Perse a été envahie. « Il faut raser toutes les villes, disait Gengis Khan, pour que le monde entier redevienne une immense steppe où des mères mongoles allaiteront des enfants libres et heureux. » De fait, des cités prestigieuses-telles que Boukhara, Samarcande ou Herat seront détruites. et leur population décimée.
La première poussée mongole en pays d'islam a de fait coïncidé avec l'invasion franque en Egypte de 1218 à 1221. Le monde arabe avait alors l'impression d'être pris entre deux feux, ce qui explique sans doute en partie l'attitude conciliante d'al-Kamel à propos de Jérusalem. Mais Gengis Khan avait renoncé à s'aventurer jusqu'à l'ouest de la Perse. Avec sa mort, en 1227, à l'âge de soixante-sept ans, la pression des cavaliers des steppes sur le monde arabe s'était relâchée pour quelques années.
En Syrie, le fléau se manifeste d'abord de manière indirecte. Parmi les nombreuses dynasties que les Mongols ont écrasées sur leur chemin il y a celle des Turcs khawarezmiens qui, au cours des années précédentes, et de l'Irak à l'Inde, ont supplanté les
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