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Les croisades vues par les arabes

Les croisades vues par les arabes

Titel: Les croisades vues par les arabes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Amin Maalouf
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sur un blocage en maçonnerie, escalade à l'est le mont Habib-an-Najjar et en couronne la crête par une citadelle inexpugnable. A l'ouest, il y a l’Oronte, que les Syriens appellent al-Assi, « le fleuve rebelle », parce qu'il donne parfois l'impression de couler à contresens, de la Méditerranée vers l'intérieur du pays. Son lit longe les murs d’Antioche, constituant un obstacle naturel peu commode à franchir. Au sud, les fortifications surplombent une vallée dont la pente est si raide qu'elle semble un prolongement de la muraille. De ce fait, il est impossible aux assiégeants d'encercler totalement la ville et les défenseurs n'ont aucun mal à communiquer avec l'extérieur et à se ravitailler.
    Les réserves alimentaires de la cité sont d'autant plus abondantes que l'enceinte englobe, outre les bâtiments et les jardins, de vastes terrains cultivés. Avant le « Fath », la conquête musulmane, Antioche était une métropole romaine de deux cent mille habitants; en 1097, elle n'en compte plus que quarante mille, et plusieurs quartiers, autrefois peuplés, ont été convertis en champs et en vergers. Bien qu'elle ait perdu de sa splendeur passée, elle demeure une ville qui impressionne. Tous les voyageurs - viennent-ils même de Baghdad ou de Constantinople - sont éblouis dès le premier regard par le spectacle de cette cité qui s'étend à perte de vue, avec ses minarets, ses églises, ses souks en arcades, ses villas luxueuses incrustées dans les pen- tes boisées qui montent vers la citadelle.
    Yaghi Siyan n'a aucune inquiétude quant à la solidité de ses fortifications ou la sûreté de son approvisionnement. Mais tous ses moyens de défense risquent de devenir inutiles si, à un point quelconque de l'interminable muraille, les assiégeants parviennent à trouver un complice pour leur ouvrir une porte ou leur faciliter l'accès d'une tour, comme cela s'est déjà produit dans le passé. D'où sa décision d'expulser la plupart de ses administrés chrétiens. A Antioche, comme ailleurs, les chrétiens d'Orient - Grecs, Arméniens, Maronites, Jacobites - sont soumis, dès l'arrivée des Franj, à une double oppression : celle de leurs coreligionnaires occidentaux qui les soupçonnent de sympathie envers les Sarrasins et les traitent en sujets de rang inférieur, et celle de leurs compatriotes musulmans qui voient souvent en eux les alliés naturels des envahisseurs. La frontière entre les appartenances religieuses et nationales est, en effet, pratiquement inexistante. Le même vocable, Roum, désigne Byzantins et Syriens de rite grec, qui se disent d'ailleurs toujours sujets du basileus; le mot « arménien » se rapporte à la fois à une église et à un peuple, et quand un musulman parle de « la nation », al-oumma, c'est de la communauté des croyants qu'il s'agit. Dans l'esprit de Yaghi Siyan, l'expulsion des chrétiens est moins acte de discrimination religieuse que mesure frappant, en temps de guerre, les ressortissants d'une puissance ennemie, Constantinople, à laquelle Antioche a longtemps appartenu et qui n'a jamais renoncé à la reprendre.
    De toutes les grandes villes de l'Asie arabe, Antioche a été la dernière à tomber sous la domination des Turcs seldjoukides; en 1084, elle dépendait encore de Constantinople. Et, lorsque les chevaliers francs viennent l'assiéger treize ans plus tard, Yaghi Siyan est naturellement convaincu qu'il s'agit d'une tentative de restauration de l'autorité des Roum avec la complicité de la population locale, en majorité chrétienne. Face à ce danger, l'émir ne s'embarrasse d'aucun scrupule. Il expulse donc les « nassara », les adeptes du Nazaréen - ainsi qu'on appelle les chrétiens - puis il prend en main le rationnement du blé, de l'huile et du miel et inspecte quotidiennement les fortifications, punissant sévèrement toute négligence. Cela suffira-t-il? Rien n'est moins certain. Mais les mesures prises devraient permettre de tenir en attendant l'arrivée de renforts. Quand ceux-ci viendront-ils? Qui vit à Antioche se pose cette question avec insistance, et Yaghi Siyan n'est pas plus à même d'y répondre que l'homme de la rue. Dès l'été, alors que les Franj étaient encore loin, il a dépêché son fils auprès des dirigeants musulmans de Syrie pour les prévenir du danger qui guettait sa cité. A Damas, nous apprend Ibn al-Qalanissi, le fils de Yaghi Siyan a parlé de guerre sainte. Mais, dans la Syrie du xi" siècle, le

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