Les croisades vues par les arabes
comme esclaves .
Dans sa fuite, Kilij Arslan rencontre un groupe de cavaliers qui arrivent de Syrie pour se battre à ses côtés. Il est trop tard, leur avoue-t-il, ces Franj sont trop nombreux et trop forts et il n'y a plus rien à faire pour les arrêter. J'oignant l'acte à la parole, et décidé à laisser passer l'ouragan, le sultan vaincu disparaît dans l'immensité du plateau anatolien. Il attendra quatre ans avant de se venger.
Seule la nature semble encore résister à l'envahisseur. L'aridité des sols, l'exiguïté des sentiers de montagne et la chaleur de l'été sur des routes sans ombre retardent quelque peu la progression des Franj. Il leur faudra, après Dorylée, cent jours pour traverser l'Anatolie, alors qu'un mois aurait dû suffire. Entre-temps, les nouvelles de la débâcle turque ont fait le tour de l'Orient. Quand fut connue cette affaire honteuse pour l'islam, ce fut une véritable panique, note le chroniqueur de Damas. La frayeur et l'anxiété prirent d'énormes proportions.
Des rumeurs circulent sans arrêt sur l'arrivée imminente des redoutables chevaliers. A la fin de juillet, le bruit court qu'ils approchent du village d'al-Balana, à l'extrême nord de la Syrie. Des milliers de cavaliers se rassemblent pour leur faire face. Fausse alerte, les Franj ne se montrent pas à l'horizon. Les plus optimistes se demandent si les envahisseurs n'ont pas rebroussé chemin. Ibn al-Qalanissi s'en fait l'écho à travers l'une de ces paraboles astrologiques qu'affectionnent ses contemporains : Cet été-là, une comète apparut du côté de l'ouest, son ascension dura vingt jours, puis elle disparut sans plus se montrer. Mais les illusions se dissipent vite. Les informations sont de plus en plus précises. Dès la mi-septembre, on peut suivre la progression des Franj de village en village.
Le 21 octobre 1097, des cris retentissent du haut de la citadelle d'Antioche, la plus grande ville de Syrie. « Ils sont là! » Quelques badauds se pressent vers les remparts, mais ils ne voient qu'un vague nuage de poussière, très loin, au bout de la plaine, près du lac d’Antioche. Les Franj sont encore à une journée de marche, peut-être plus, et tout laisse supposer qu'ils voudront s'arrêter pour prendre quelque repos après leur longue traversée. La prudence exige pourtant de fermer déjà les cinq lourdes portes de la cité.
Dans les souks, la clameur du matin s'est éteinte, marchands et clients se sont immobilisés. Des femmes murmurent quelques prières. La peur s'est emparée de la ville.
CHAPITRE II
UN MAUDIT FABRICANT DE CUIRASSES
Quand le maître d'Antioche, Yaghi Siyan, fut informé de l'approche des Franj, il redouta un mouvement de sédition de la part des chrétiens de la ville. Il décida donc de les expulser.
C'est l'historien arabe Ibn al-Athir qui racontera l'événement, plus d'un siècle après le début de l'invasion franque, sur la foi des témoignages laissés par les contemporains :
Le premier jour, Yaghi Siyan ordonna aux musulmans de sortir pour nettoyer les fossés qui entourent la cité. Le lendemain, pour la même corvée, il n‘envoya que les chrétiens. Il les fit travailler jusqu'au soir et. quand ils voulurent rentrer, il les en empêcha en disant : « Antioche est à vous, mais vous devez me la laisser jusqu'à ce que j'aie réglé notre problème avec les Franj. » Ils lui demandèrent : « Qui protégera nos enfants et nos femmes? » L'émir répondit : « Je m'en occuperai à votre place. » Il protégea effectivement les familles des expulsés et ne permit pas que l'on touchât à un cheveu de leurs têtes.
En ce mois d'octobre 1097, le vieux Yaghi Siyan, serviteur depuis quarante ans des sultans seldjoukides, vit dans la hantise d'une trahison. Il est convaincu que les armées franques qui sont rassemblées devant Antioche ne pourront jamais y pénétrer à moins de s'être assurées de complicités à l'intérieur des murs. Car sa ville ne peut être prise d'assaut, encore moins affamée par un blocus. Les soldats dont dispose cet émir turc à la barbe blanchissante ne sont, il est vrai, que six ou sept mille, alors que les Franj alignent près de trente mille combattants. Mais Antioche est une place forte pratiquement imprenable. Son enceinte a deux farsakh (douze mille mètres) de longueur et ne compte pas moins de trois cent soixante tours construites sur trois niveaux différents. La muraille, solidement bâtie en pierre de taille et en brique
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