Les croisades vues par les arabes
importante qui soit encore aux mains du sultan. Tout au long de cette zone montagneuse qu'ils devront traverser, les Occidentaux prêteront donc le flanc aux attaques. Le tout est de choisir le lieu de l'embuscade. Les émirs qui connaissent bien la région n'hésitent pas. Il y a, près de la ville de Dorylée, à quatre jours de marche de Nicée, un endroit où la route s'enfonce dans une vallée peu profonde. Si les guerriers turcs se rassemblent derrière les collines, ils n'auront plus qu'à attendre.
Aux derniers jours de juin 1097, lorsque Kilij Arslan apprend que les Occidentaux, accompagnés d'une petite troupe de Roum, ont quitté Nicée, le dispositif de l'embuscade est déjà en place. Le 1er juillet à l'aube, les Franj sont à l'horizon. Chevaliers et fantassins avancent tranquillement, ne semblant nullement se douter de ce qui les attend. Le sultan avait peur que son stratagème ne soit découvert par les éclaireurs ennemis. Apparemment il n'en est rien. Autre sujet de satisfaction pour le monarque seldjoukide, les Franj semblent moins nombreux que ce qui avait été annoncé. Une partie d'entre eux serait-elle restée à Nicée? Il l'ignore. En tout cas, à première vue, il dispose de la supériorité numérique. Si on y ajoute l'avantage de la surprise, la journée devrait lui être favorable. Kilij Arslan est nerveux mais confiant. Le sage Danishmend, qui a vingt ans d'expérience de plus que lui, l'est aussi.
Le soleil vient tout juste d'apparaître derrière les collines lorsque l'ordre d'attaquer est lancé. La tactique des guerriers turcs est bien rodée. C'est elle qui leur a assuré, depuis un demi-siècle, la suprématie militaire en Orient. Leur armée est constituée presque totalement de cavaliers légers qui manient l'arc admirablement. Ils s'approchent, déversent sur leurs ennemis une pluie de flèches meurtrières, puis s'éloignent à toute allure, pour céder la place à une nouvelle rangée d’assaillants. Généralement quelques vagues successives mettent leur proie à l'agonie. C'est alors qu'ils engagent le corps à corps final.
Mais, le jour de cette bataille de Dorylée, le sultan, installé avec son état-major sur un promontoire, constate avec inquiétude que les vieilles méthodes turques n'ont plus leur efficacité habituelle. Les Franj n'ont, il est vrai, aucune agilité et ils ne semblent pas pressés de riposter aux attaques répétées. Mais ils maîtrisent parfaitement l'art de la défensive. La force principale de leur armée réside dans ces épaisses armures dont les chevaliers couvrent tout leur corps, et même parfois celui de leur monture. Si leur avancée est lente, pesante, les hommes sont magnifiquement protégés contre les flèches. Après plusieurs heures de combats, ce jour-là, les archers turcs ont certes fait de nombreuses victimes, surtout parmi les fantassins, mais le gros de l'armée franque reste intact. Faut-il engager le corps à corps? Cela semble hasardeux : au cours des nombreuses escarmouches qui se sont produites autour du champ de bataille, les cavaliers des steppes n'ont nullement fait le poids face à ces véritables forteresses humaines. Faut-il prolonger indéfiniment la phase de harcèlement? Maintenant que l'effet de surprise est passé, l'initiative pourrait bien venir du camp adverse.
Certains émirs conseillent déjà d'opérer un repli lorsque apparaît au loin un nuage de poussière. C'est une nouvelle armée franque qui s'approche, aussi nombreuse que la première. Ceux contre lesquels on se bat depuis le matin ne sont que l'avant-garde. Le sultan n'a pas le choix. Il doit ordonner la retraite. Avant même qu'il n'ait pu le faire, on lui annonce qu'une troisième armée franque est en vue derrière les lignes turques, sur une colline qui domine la tente de l'état-major.
Cette fois, Kilij Arslan cède à la peur. Il saute sur son destrier et galope vers les montagnes, abandonnant jusqu'à ce fameux trésor qu'il transporte toujours avec lui pour payer ses troupes. Danishmend le suit de près, ainsi que la plupart des émirs. Profitant du seul atout qui leur reste, la vitesse, de nombreux cavaliers parviennent à s'éloigner à leur tour sans que les vainqueurs puissent les poursuivre. Mais la plupart des soldats demeurent sur place, encerclés de toutes parts. Comme l'écrira Ibn al-Qalanissi : Les Franj taillèrent en pièces l'armée turque. Ils tuèrent, pillèrent et prirent beaucoup de prisonniers qu'ils vendirent
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