Les croisades vues par les arabes
est de plus en plus critique, viennent de lancer une razzia sur les terres du roi seldjoukide, pillant et saccageant les environs même d'Alep, et Redwan, pour la première fois, sent la menace qui pèse sur son propre domaine. Plus pour se défendre que pour aider Antioche, il décide donc d'envoyer son armée contre les Franj. Chams triomphe. Il fait parvenir à son père un message lui indiquant la date de l'offensive alépine et lui demandant d'opérer une sortie en masse pour prendre les assiégeants en tenaille.
A Antioche l'intervention de Redwan est tellement inattendue qu'elle apparaît comme un cadeau du ciel. Est-ce le tournant décisif de cette bataille qui dure depuis plus de cent jours?
Le 9 février 1098, en début. d'après-midi, les guetteurs postés dans la citadelle signalent l'approche de l'armée d’Alep. Elle compte plusieurs milliers de cavaliers, alors que les Franj ne peuvent en aligner que sept ou huit cents tant la famine a fait de ravages parmi leurs montures. Les assiégés, qui se tiennent sur le qui-vive depuis plusieurs jours, voudraient que le combat s'engage sur-le-champ. Mais les troupes de Redwan s'étant arrêtées et ayant commencé à dresser les tentes, l'ordre de bataille est repoussé au lendemain. Les préparatifs se poursuivent tout au long de la nuit. Chaque soldat sait maintenant avec précision où et quand il doit agir. Yaghi Siyan a confiance en ses hommes qui, il en est sûr, exécuteront leur part du contrat.
Ce que tout le monde ignore, c'est que la bataille est déjà perdue avant même qu'elle ne soit engagée. Terrorisé par ce qu'on raconte sur les qualités guerrières des Franj, Redwan n'ose plus profiter de sa supériorité numérique. Au lieu de déployer ses troupes, il ne cherche qu'à les protéger. Et, pour éviter tout risque d'encerclement, il les cantonne toute la nuit dans une étroite bande de terre enserrée entre l'Oronte et le lac d'Antioche. Lorsque les Franj attaquent à l'aube, les Alépins sont comme paralysés. En raison de l'exiguïté du terrain, tout mouvement leur est interdit. Les montures se cabrent, et ceux qui tombent sont piétinés par leurs frères avant qu'ils ne puissent se relever. Bien entendu, il n'est plus question d'appliquer les tactiques traditionnelles et de lancer contre l'ennemi des vagues successives de cavaliers-archers. Les hommes de Redwan sont acculés à un corps à corps où les chevaliers bardés d'armures acquièrent sans difficulté un avantage écrasant. C'est un véritable carnage. Le roi et son armée, poursuivis par les Franj, ne songent plus qu'à s'enfuir dans un désordre indescriptible.
Sous les murs d'Antioche, la bataille se déroule différemment. Dès les premières lueurs du jour, les défenseurs ont opéré une sortie massive qui a contraint les assiégeants à reculer. Les combats se montrent acharnés, et les soldats de Yaghi Siyan sont en excellente position. Un peu avant midi, ils ont commencé à investir le campement des Franj lorsque parviennent les nouvelles de la débâcle des Alépins. La mort dans l'âme, l'émir ordonne alors à ses hommes de réintégrer la cité. Leur repli est à peine achevé que les chevaliers qui ont écrasé Redwan reviennent, chargés de macabres trophées. Les habitants d'Antioche entendent bientôt d'immenses éclats de rire, quelques sifflements sourds, avant de voir atterrir, projetées par des catapultes, les têtes affreusement mutilées des Alépins. Un silence de mort s'est emparé de la ville.
Yaghi Siyan a beau distribuer autour de lui quelques phrases d'encouragement, il sent pour la première fois que l'étau se resserre autour de sa cité. Après la débâcle des deux frères ennemis, il n'a plus rien à attendre des princes de Syrie. Un seul recours lui reste : le gouverneur de Mossoul, le puissant émir Karbouka, qui a le désavantage de se trouver a plus de deux semaines de marche d'Antioche.
Mossoul, patrie de l'historien Ibn al-Athir, est la capitale de la « Jézira », la Mésopotamie, cette plaine fertile arrosée par les deux grands fleuves que sont le Tigre et l'Euphrate. C'est un centre politique, culturel et écono- mique de première importance. Les Arabes vantent ses fruits succulents, ses pommes, ses poires, ses raisins et ses grenades. Le monde entier associe le nom de Mossoul au tissu fin qu'elle exporte, la « mousseline ». A l'arrivée des Franj, on exploite déjà sur les terres de l'émir Karbouka une autre richesse
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