Les croisades vues par les arabes
de Smyme, sur la mer Egée, où, avec l'aide d'un armateur grec, il s'était constitué une véritable flotte de guerre comprenant des brigantins légers, des vaisseaux à rames, dromons, birèmes ou trirèmes, au total près d'une centaine de bâtiments. Dans une première étape, il avait occupé de nombreuses îles, notamment Rhodes, Chios et Samos, et étendu son autorité sur l'ensemble de la côte égéenne. S'étant ainsi taillé un empire maritime, il s'était proclamé basileus, organisant son palais de Smyrne sur le modèle de la cour impériale, et avait lancé sa flotte à l'assaut de Constantinople. Il avait fallu d'énormes efforts à Alexis pour parvenir à repousser l'attaque et à détruire une partie des vaisseaux turcs.
Nullement découragé, le père de la future sultane avait repris avec détermination la construction de ses navires de guerre. C'était vers la fin de l'année 1092, au moment où Kilij Arslan revenait d'exil, et Tchaka s'était dit que le jeune fils de Suleiman serait un excellent allié contre les Roum. Il lui avait offert la main de sa fille. Mais les calculs du jeune sultan étaient bien différents de ceux de son beau-père. La conquête de Constantinople lui apparaissait comme un projet absurde; en revanche, nul n'ignorait dans son entourage qu'il cherchait l'élimination des émirs turcs qui tentaient de se tailler un fief en Asie Mineure, c'est-à-dire au premier chef Danishmend et le trop ambitieux Tchaka. Le sultan n'avait donc pas hésité : quelques mois avant l'arrivée des Franj, il avait invité son beau-père à un banquet et, l'ayant enivré, l'avait poignardé, de sa propre main, semble-t-il. Tchaka avait un fils qui avait pris alors la succession, mais il n'avait ni l'intelligence ni l'ambition de son père. Le frère de la sultane s'était contenté de gérer son émirat marin jusqu'à cette journée de l'été 1097 où la flotte des Roum était arrivée inopinément au large de Smyrne avec, à son bord, un messager inattendu : sa propre sœur.
Celle-ci a tardé à comprendre les raisons de la sollicitude de l'empereur à son égard, mais tandis qu'on la convoie vers Smyrne, la ville où elle a passé son enfance, tout lui apparaît clairement; Elle est chargée d'expliquer à son frère qu'Alexis a pris Nicée, que Kilij Arslan est battu et qu'une puissante armée de Roum et de Franj va bientôt attaquer Smyrne avec l'aide d'une immense flotte. Pour avoir la vie sauve, le fils de Tchaka est invité à conduire sa sœur auprès de son époux, quelque part en Anatolie.
La proposition n'ayant pas été refusée, l'émirat de Smyrne cesse d'exister. Au lendemain de la chute de Nicée, toute la côte de la mer Egée, toutes les îles, toute la partie occidentale de l'Asie Mineure échappent donc désormais aux Turcs. Et les Roum, aidés par leurs auxiliaires francs, semblent décidés à aller plus loin.
Mais, dans son refuge montagneux, Kilij Arslan ne désarme pas.
Passé la surprise des premiers jours, le sultan prépare activement sa riposte. Il se mit à recruter des troupes, à enrôler des volontaires et à proclamer le jihad , note Ibn al-Qalanissi. Le chroniqueur de Damas ajoute que Kilij Arslan demanda à tous les Turcs de lui venir en aide, et ils répondirent nombreux à son appel .
De fait, le premier objectif du sultan est de sceller une alliance avec Danishmend. Une simple trêve ne suffit plus; il est impérieux maintenant que les forces turques d'Asie Mineure soient unies, comme s'il s'agissait d'une seule armée. Kilij Arslan est sûr de la réponse de son rival. Musulman fervent tout autant que stratège réaliste, Danishmend s'estime menacé par la progression des Roum et de leurs alliés francs. Il préfère les affronter sur les terres de son voisin plutôt que sur les siennes, et, sans plus attendre, il arrive avec des milliers de cavaliers au camp du sultan. On fraternise, on se consulte, on élabore des plans. La vue de cette multitude de guerriers et de chevaux couvrant les collines redonne confiance aux chefs. Ils s'attaqueront à l'ennemi dès qu'ils en auront l'occasion.
Kilij Arslan guette sa proie. Ses informateurs infiltrés chez les Roum lui ont fait parvenir de précieux renseignements. Les Franj clament tout haut qu'ils sont déterminés à poursuivre leur chemin au-delà de Nicée et veulent arriver jusqu'en Palestine. On connaît même leur itinéraire : descendre vers le sud-est, en direction de Konya, la seule ville
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