Les croisades vues par les arabes
sur cette ancienne cité, coupable d'avoir tenu tête au conquérant. Quelques semaines plus tard, les envahisseurs sont aux portes de Damas. Les roitelets ayyoubides qui gouvernent encore les diverses cités syriennes sont bien entendu incapables d'endiguer le flot. Certains d'entre eux décident de reconnaître la suzeraineté du Grand Khan, songeant même, comble d’inconscience, à s'allier aux envahisseurs contre les mamelouks d'Egypte, ennemis de leur dynastie. Chez les chrétiens, orientaux ou francs, les avis sont partagés. Les Arméniens, en la personne de leur roi Hethoum, prennent fait et cause pour les Mongols, ainsi que le prince Bohémond d’Antioche, son gendre. En revanche, les Franj d'Acre adoptent une position de neutralité plutôt favorable aux musulmans. Mais l'impression qui prévaut, aussi bien en Orient qu'en Occident, c'est que la campagne mongole est une sorte de guerre sainte menée contre l'islam, qui fait pendant aux expéditions franques. Cette impression est renforcée par le fait que le principal lieutenant de Houlagou en Syrie, le général Kitbouka, est un chrétien nestorien. Lorsque Damas est prise le 1er mars 1260, ce sont trois princes chrétiens, Bohémond, Hethoum et Kitbouka, qui y pénètrent en vainqueurs, au grand scandale des Arabes.
Jusqu'où iront les Tatars? A La Mecque, assurent certains, pour porter le coup de grâce à la religion du Prophète. A Jérusalem, en tout cas, et sous peu. Toute la Syrie en est convaincue. Au lendemain de la chute de Damas, deux détachements mongols s'empressent d'occuper deux cités palestiniennes : Naplouse, dans le centre, et Gaza, au sud-ouest. Cette dernière ville étant située aux confins du Sinaï, il semble acquis, en ce tragique printemps de 1260, que l'Egypte elle-même n'échappera pas à la dévastation. Houlagou n'a d'ailleurs pas attendu la fin de sa campagne syrienne pour envoyer un ambassadeur au Caire demander la soumission inconditionnelle du pays du Nil. L’émissaire a été reçu, écouté, puis décapité. Les mamelouks ne plaisantent pas. Leurs méthodes ne ressemblent en rien à celles de Saladin. Les sultans-esclaves qui gouvernent au Caire depuis dix ans reflètent le durcissement et l'intransigeance d'un monde arabe assailli de toutes parts. Ils se battent, par tous les moyens. Sans scrupules, sans gestes magnanimes, sans compromis. Mais avec courage et efficacité.
C'est en tout cas vers eux que se tournent les regards, car ils représentent le dernier espoir d'enrayer la progression de l'envahisseur. Au Caire, le pouvoir est, depuis quelques mois, aux mains d'un militaire d'origine turque, Qoutouz. Chajarat-ad-dorr et son mari Aïbek, après avoir gouverné ensemble pendant sept ans, avaient fini par s'entre-tuer. A ce sujet, de nombreuses versions ont longtemps circulé. Celle qui a la faveur des conteurs populaires mêle évidemment l'amour et la jalousie aux ambitions politiques. La sultane est en train de donner le bain à son époux, comme elle le fait d'habitude, quand, profitant de ce moment de détente et d'intimité, elle reproche au sultan d'avoir pris pour concubine une jolie esclave de quatorze ans. « Je ne te plais donc plus? » demande-t-elle pour l'attendrir. Mais Aïbek répond brutalement : « Elle est jeune alors que toi tu ne l'es plus. » Chajarat-ad-dorr tremble de rage. Elle voile les yeux de son époux avec du savon, lui adresse quelques paroles conciliantes pour endormir sa méfiance, puis brusquement, saisissant un poignard, lui transperce le flanc. Aïbek s'écroule. La sultane reste quelques instants immobile, comme paralysée. Puis, se dirigeant vers la porte, appelle quelques esclaves fidèles afin qu'ils la débarrrassent du corps. Mais, pour son malheur, un des fils d'Aïbek, âgé de quinze ans, qui a remarqué que l'eau du bain qui s'écoule vers l'extérieur est rouge, se précipite dans la chambre, aperçoit Chajarat-ad-door debout près de la porte, à moitié nue, tenant encore à la main un poignard rouge de sang. Déjà elle s'enfuit à travers les couloirs du palais, poursuivie par son beau-fils, qui alerte les gardes. Au moment d'être rattrapée, la sultane trébuche. Sa tête heurte violemment une dalle de marbre. Quand on la rejoint, elle ne respire plus.
Bien que fortement romancée, cette version présente un réel intérêt historique dans la mesure où, selon toute vraisemblance, elle reproduit ce qui s'est effectivement raconté dans les rues du
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