Les croisades vues par les arabes
nouveau sultan ne se fait pas attendre : les offres généreuses faites par Ayyoub auraient dû être acceptées du temps d'Ayyoub! Désormais, il est trop tard. De fait, Louis peut espérer tout au plus sauver son armée et quitter l'Egypte sain et sauf, car la pression autour de lui s'accentue. A la mi-mars, plusieurs dizaines de galères égyptiennes sont parvenues à infliger une sévère défaite à la flotte franque, détruisant ou capturant près d'une centaine de bâtiments de toutes dimensions et coupant aux envahisseurs toute possibilité de retraite vers Damiette. Le 7 avril, l'armée d'invasion, qui tente de forcer le blocus, est assaillie par les bataillons mamelouks, auxquels se sont joints des milliers de volontaires. Au bout de quelques heures, les Franj sont aux abois. Pour arrêter le massacre de ses hommes, le roi de France capitule et demande la vie sauve. Il est conduit, enchaîné, vers Mansourah, où il est enfermé dans la maison d'un fonctionnaire ayyoubide.
Curieusement, cette éclatante victoire du nouveau sultan ayyoubide, loin de renforcer son pouvoir, va entraîner sa chute. Un conflit oppose en effet Touranshah aux principaux officiers mamelouks de son armée. Ces demiers, estimant non sans raison que c'est à eux que l'Egypte doit son salut, exigent de jouer un rôle déterminant dans la direction du pays, alors que le souverain veut profiter de son prestige nouvellement acquis pour installer ses propres hommes aux postes de responsabilité. Trois semaines après la victoire sur les Franj, un groupe de ces mamelouks, réunis à l'initiative d'un brillant officier turc de quarante ans, Baibars l'arbalétrier, décide de passer à l'action. Le 2 mai 1250, à l'issue d'un banquet organisé par le monarque, une révolte éclate. Touranshah, blessé à l'épaule par Baibars, court en direction du Nil dans l'espoir de s'enfuir sur une barque, quand ses assaillants le rattrapent. Il les supplie de lui laisser la vie sauve, promettant de quitter à jamais l’Egypte et de renoncer au pouvoir. Mais le dernier des sultans ayyoubides est achevé sans pitié. Un envoyé du calife devra même intervenir pour que les mamelouks acceptent de donner une sépulture à leur ancien maître.
Malgré la réussite de leur coup d'Etat, les officiers-esclaves hésitent à s'emparer directement du trône. Les plus sages d'entre eux s'ingénient à trouver un compromis qui permette de conférer à leur pouvoir naissant un semblant de légitimité ayyoubide. La formule qu'ils mettent au point fera date dans l'histoire du monde musulman, comme le fait remarquer Ibn Wassel, témoin incrédule de ce singulier événement.
Après l'assassinat de Touranshah, raconte-t-il, les émirs et les mamelouks se réunirent près du pavillon du sultan et décidèrent de porter au pouvoir Chajarat-ad-dorr, une épouse du sultan ayyoub, qui devint reine et sultane. Elle prit en main les affaires de l'Etat, établit à son nom un sceau royal avec la formule « Oum Khalil », la mère de Khalil. un enfant qu'elle avait eu et qui était mort en bas âge. On prononça le sermon du vendredi dans toutes les mosquées au nom d'Oum Khalil, sultane du Caire et de toute l'Egypte. Ce fut la un fait sans précédent dans l'histoire de l'islam.
Peu après son intronisation, Chajarat-ad-dorr épouse un des chefs mamelouks, Aibek, et lui confère le titre de sultan.
Le remplacement des Ayyoubides par les mamelouks marque un net durcissement de l'attitude du monde musulman face aux envahisseurs. Les descendants de Saladin s'étaient montrés plus que conciliants à l'égard des Franj. Surtout leur pouvoir faiblissant n'était plus en mesure de faire face aux périls qui menaçaient l'islam à l’Est comme à l’Ouest. La révolution mamelouk apparaîtra très vite comme une entreprise de redressement militaire, politique et religieux.
Le coup d'Etat survenu au Caire ne change rien au sort du roi de France, au sujet duquel un accord de principe était intervenu du temps de Touranshah suivant lequel Louis devait être libéré en échange du retrait de toutes les troupes franques du territoire égyptien, notamment de Damiette, et du paiement d'une rançon d'un million de dinars. Quelques jours après l'accession au pouvoir d'Oum Khalil, le souverain français est effectivement relâché. Non sans avoir été sermonné par les négociateurs égyptiens : « Comment un homme de bon sens, sage et intelligent comme toi, peut-il s'embarquer
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