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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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Pour ne pas être trop incomplet, le portrait que j’aimerais tracer de ce garçon si divers, de cet esprit si fin et séduisant dépasserait par trop le cadre de ce livre. Réservons-le pour mes souvenirs de vieillesse… Comme il ne sera question ici que de politique, je dirai que Brasillach était venu au fascisme par la poésie, ce qui n’était pas, il allait bientôt le prouver, la moins bonne façon de le comprendre.
    L’équipe de « base » de Je Suis Partout travaillait dans une atmosphère d’indépendance et d’amitié dont Robert Brasillach a parlé mieux que personne dans Notre avant-guerre. Toutes les décisions se prenaient au milieu de conciliabules joviaux et féroces que nous appelions le Soviet.
    Gaxotte intervenait quand il le fallait de sa voix tranquille, avec un léger défaut au bout de la langue, pour éclaircir une définition, redresser l’interprétation un peu aventurée d’un événement ou d’un propos. Il était plus âgé que nous de huit ou dix ans, mais la chance voulait qu’il parût presque aussi jeune. Nous entourions, nous aimions et nous écoutions comme un frère aîné plein de sagesse, investi de notre confiance aveugle, ce petit homme de santé fragile, mais à la pensée si ferme, ayant, avec ses yeux noirs brillants d’ironie et son nez retroussé, une physionomie de ce XVIII e  siècle où il semblait être né, mettant de la vie et de l’esprit dans les plus austères sujets – je me souviens d’une conférence de lui sur l’administration au temps de Louis XV qui fut aussi délicieuse que savante –, plus docte que trois Facultés réunies, et avec cela d’une espièglerie de collégien, ayant une prédilection pour le cirque, les ballets et les farces du cinéma américain. Gaxotte si cher et qui devait être si décevant, le plus amèrement regretté des compagnons perdus.
    P. -A. Cousteau, Bordelais brun et viril, bouillant d’enthousiasme sous une enveloppe flegmatique, ancien citadin de New York où il avait même été prolétaire, travaillait jusqu’à quatre heures du matin chaque nuit dans la géhenne du grisâtre Journal. Il se délivrait joyeusement chez nous de ses contraintes et se vengeait sur l’U. R. S. S. et Roosevelt que personne en France n’a mieux dépiauté. Cousteau se moque de la littérature. C’est cependant, de nous tous, un de ceux dont la phrase retombe le plus solidement sur ses pattes. Georges Blond, dont les premiers romans avaient révélé le sobre et pénétrant talent, nous donnait avec infiniment d’humour une galerie de l’antifascisme, bourgeois de préférence, qui a préfiguré le Travelingue de Marcel Aymé. Nous avions aussi Camille Fégy, bouillonnant, journaliste de premier ordre, qui s’appelait chez nous Jean Meillonnas. Il faisait notre liaison avec Jacques Doriot. C’était un ancien communiste, phénomène absolument neuf dans un groupe de nationaux. Henri Lebre, l’un des principaux militants doriotistes lui aussi, mais venu de la doctrine maurrassienne, débarquait chaque semaine de La Ferté-Milon pour décrire, sous le nom de François Dauture, dans des articles obstinés et posés, l’absurde composition des États Versaillais, Yougo-Slavie, Tchéco-Slovaquie surtout, sa bête noire, annoncer leur démembrement fatal. Nous avions encore Ralph Soupault, polémiste du dessin, ancien caporal de tirailleurs marocains, répertoire vivant de tout le folklore de l’infanterie et de la marine françaises, le grand militariste de notre bande avec moi ; le fidèle et charmant Robert Andriveau, fasciste endurci et ténor sentimental de nos banquets ; et encore le docteur Paul Guérin, personnage universel, cagoulard magnifiquement barbu, révolutionnaire de la meilleure trempe, homme d’action autant que de savoir, l’un des plus remarquables phtisiologues de Paris, excellent journaliste, orateur vigoureux, l’un des chefs désignés pour une refonte vraiment nationale et sociale de sa corporation, comme par hasard l’un de ces anciens militants royalistes, trop doués et ardents pour n’avoir pas encouru l’ostracisme de Maurras.
    Je Suis Partout devait sa seconde naissance à un sursaut vraiment fasciste : volonté de s’affranchir du capital peureux et dégoûtant, volonté d’une collaboration étroite dans des idées absolument communes et le même esprit d’enthousiasme et de jeunesse. C’était certainement le seul journal de France qui fût sans directeurs, sans

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