Les Décombres
avalanche d’études « sociales », de systèmes, de professions de foi qui toutes arrivaient après la bataille, ces combinaisons livresques de syndicalisme, de corporatisme, ces salmigondis de Marx et de La Tour du Pin, ces solutions décisives professées par des littérateurs ou des cléricaux qui n’avaient pas seulement bu une fois dans leur vie un verre avec un authentique ouvrier.
On eût juré qu’une gigantesque conjuration travaillait à neutraliser par d’obliques moyens les résistances sur lesquelles les Français pouvaient le plus naturellement compter. Aucun cas ne semblait être d’une plus dramatique clarté, pour un esprit chrétien, que celui de l’Espagne. Pourtant, nous avions vu des catholiques illustres et même intolérants comme Mauriac et Bernanos devenir les détracteurs les plus acharnés et les plus fielleux de Franco. Ces défenseurs bénits des fusilleurs de Christs et des dynamiteurs de moines étaient habiles à travestir leurs humeurs et leurs perversités intellectuelles en algèbres casuistiques. Leur clientèle était rompue elle aussi à ces exercices. Ajoutez que ces effroyables docteurs, comme pour la condamnation del ’Action Française, parlaient au nom de Dieu, de la foi, des sacrements, de l’Église, et brandissaient tous les tonnerres du dogme sur la tête de leurs contradicteurs. Leur religion ne leur fournissait ainsi que des armes déloyales. L’orgueil morbide de ces étranges disciples de Jésus n’admettait pas la moindre retouche à leurs plaidoyers et leurs réquisitoires. On peut invoquer la demi-folie de Bernanos qui dans les pires circonstances demeure du reste digne du nom d’écrivain, avec ses livres embrouillés par les fumées de l’alcool, mais que trouent soudain des pages puissantes, furieuses ou noires. L’autre, l’homme à l’habit vert, le bourgeois riche, avec sa torve gueule de faux Gréco, ses décoctions de Paul Bourget macérées dans le foutre rance et l’eau bénite, ces oscillations entre l’eucharistie et le bordel à pédérastes qui forment l’unique trame de sa prose aussi bien que de sa conscience, est l’un des plus obscènes coquins qui aient poussé dans les fumiers chrétiens de notre époque. Il est étonnant que l’on n’ait même pas encore su lui intimer le silence.
C’était bien le moindre des châtiments pour un pareil salaud. Lui et ses semblables ont pourri une foule d’esprits si médiocres et mous que je me demande à vrai dire ce qu’on aurait jamais pu en attendre. Ils insinuèrent chez d’autres le doute. Ils contraignirent leurs adversaires à dépenser une vigueur, un temps et un talent précieux dans des querelles sans issue. Avec leurs paraboles, leurs signes de croix, leurs encres saintes et leur morgue littéraire, ils n’étaient tout vulgairement et bassement que les agents d’une diversion politicienne.
* * *
Les partis nationaux, par leur morcellement et leur passion de la chamaille, formaient un objectif de choix pour de semblables manœuvres.
À la dissolution des ligues, ils avaient subi sans un geste la loi de l’ennemi et de quel ennemi ! le chimpanzé Albert Sarraut, le personnage le plus déshonoré et le plus inconsistant de la République.
La démocratie venait de leur donner par sa victoire une leçon qui n’était pas la première du genre, mais certainement la plus sévère. Elle avait consenti au coude à coude de ses factions les plus diverses. On s’étonnait à droite d’une pareille promiscuité des moscoutaires et des vieux conservateurs du radicalisme. On n’avait donc pas encore compris que le secret de tous ces gens-là était de s’entendre sur un seul sentiment, un seul principe. La démocratie, bon gré mal gré, suivant le mouvement irrésistible de l’époque, avait décidé et établi sa dictature. L’objet de cette dictature était vil ou vain, ses chefs imbéciles ou incapables. Mais le système existait, il avait force de loi, emportant les derniers débris de ces fameuses libertés dont les plus tièdes défenseurs de la Troisième République avaient toujours reconnu qu’elles étaient un de ses plus enviables avantages. Les maîtres du jour s’étaient empressés de les mettre l’une après l’autre sous clef. Seule subsistait encore pour quelque temps la liberté de la presse, trop gros morceau pour être escamoté d’un coup. Mais ce n’était point la faute de Léon Blum.
À droite, on discourait toujours sur
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