Les Décombres
fonds appréciables, sans la moindre servitude, conduit et possédé par la petite bande qui l’écrivait.
Je n’ai pas besoin d’insister sur les ennemis mortels que nous nous étions faits à gauche. Il était naturel encore qu’une entreprise aussi révolutionnaire nous valût l’hostilité moins ouverte mais plus pernicieuse des bourgeois nantis, qui détestaient notre ordre à l’égal des pires subversions. Ils affectaient de nous tenir pour des fantaisistes ou des chahuteurs. À nos condamnations catégoriques de toute espèce de libéralisme, ils opposaient, avec une ironie doctorale, la complexité des affaires. Notre irrévérence pour l’argent les scandalisait jusqu’au fond de leurs fibres. Jalousies de jeunes gueux ! On verrait bien, ricanaient-ils, comment nos principes résisteraient à quelques jolis mariages et quelques succès de librairie.
Pour l’immédiat, on nous annonçait avec des sourires apitoyés notre inévitable faillite. Ce qui n’empêchait pas qu’avec un titre qui ne valait et ne signifiait plus rien, des ressources inexistantes, en dépit d’une conspiration hermétique de silence autour de nous, notre journal, après douze mois de vie libre, avait atteint toute une clientèle nouvelle, doublé son tirage, quadruplé ses abonnements.
Mais au bout d’un an du ministère Blum, il fallait bien notre vocation de ferrailleurs et l’orgueil de notre indépendance pour ne pas être envahis d’un immense scepticisme devant l’horizon politique de notre pays
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Le Front Populaire, à l’usage, s’était révélé fort décevant pour les amateurs de batailles rangées. Du fond des loges, ses sacristies de la République, il lui venait évidemment de prudents conseils. Léon Blum, à force d’ergotages et de prophéties talmudiques, cherchait bien à maintenir un mythe de l’ère socialiste. Mais on le sentait bridé par sa propre pleutrerie, par la grosse bourgeoisie des Juifs français qui craignait un regain d’antisémitisme, par la grosse bourgeoisie chrétienne qui s’était empressé de composer avec lui, par la petite bourgeoisie laïque des fonctionnaires et des instituteurs, haineuse mais bien trop étriquée pour réaliser une véritable subversion.
On assistait toujours à la vieille pitrerie des partis gesticulant des rôles. Les défroques étaient simplement de couleurs plus agressives. Les méfaits du Front Populaire tenaient beaucoup moins à la volonté qu’à la piteuse incapacité de ses pantins. Quelle que fût la cause, cependant, ces méfaits étaient assez graves pour réveiller le pays.
Les finances étaient pillées, l’économie saccagée, la plus grossière démagogie substituée à toutes les règles du gouvernement des hommes. La politique extérieure, où la gabegie avait des conséquences encore plus sinistres mais moins immédiates, était le fort de ces messieurs, le terrain où ils ne faiblissaient jamais, où ils pouvaient se livrer à toutes leurs lubies et tout leur sectarisme, où leur vénalité devenait la plus profitable, où ils cueillaient à foison les arguments jetés aux prolétaires impatients et qui commençaient à soupçonner la comédie. On conduisait la diplomatie française comme les élections municipales d’un canton radical-socialiste où il s’agit d’expulser trois nonnains. La France exécutait devant l’Europe entière une grotesque pantomime, présentant un derrière fuyard et foireux quand elle devait montrer les dents, clamant qu’elle ne permettrait ni ceci ni cela, et dégringolant dans une trappe à guignol quand ceci ou cela s’était produit. Elle se gargarisait avec des décoctions d’entités genevoises, elle pelotait amoureusement des fœtus de peuples lointains, et refusait aigrement, sous des prétextes insanes, l’alliance qu’une grande nation lui offrait à sa porte.
Il nous manquait peut-être l’incendie des usines, le viol des filles des patrons. Mais le tableau était déjà d’une suffisante éloquence. [ Accouru du fond des ghettos d’Orient à l’annonce de la victoire raciale, le juif pullulait, dans son état originel de crasse et d’outrecuidance le plus propre à écœurer un Français de vrai sang.] Les origines métèques du fléau qui nous frappait étaient éclatantes sous nos yeux. La faucille et le marteau ne se cachaient pas d’être l’insigne de la révolution mondiale. Les trois flèches socialistes venaient en droite ligne du « Rote Front »
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