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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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d’esprit et de toutes les flammes des plus raisonnables passions. Qu’il s’agît d’expliquer le mécanisme d’un impôt, d’une méthode économique, ou d’un pacte d’alliance, de fustiger un imbécile ou de trouver dans l’histoire les leçons de notre dernière crise politique, rien n’était plus clair, plus vif et d’une langue plus ferme. On ne pouvait guère, pour cette période-là, lui reprocher qu’un souci excessif d’orthodoxie économique, d’équilibre financier, l’inquiétude devant les fluctuations du 3 %, toutes choses héritées de son maître, le très capitaliste Jacques Bainville.
    Un rédacteur du Journal de Rouen, Pierre Villette, rompu à toutes les combinaisons de couloirs, signait Dorsay dans nos colonnes une chronique parlementaire pleine de talent, de bon sens et de vigueur, dans laquelle l’avait précédé pour un temps très court le vendu Émile Buré {8}  : car Buré fut aussi un collaborateur de Je Suis Partout. Quelques jeunes diables se faisaient les griffes dans les coins, tous introduits par Gaxotte que l’académisme ennuyait. Je devais à son amitié de compter parmi les collaborateurs du début. Le premier gros morceau de ma contribution avait été une copieuse et consciencieuse étude sur les étrangers en France, nullement xénophobe, mais pour les conclusions d’un racisme qui ne savait pas encore très bien son nom. Gaxotte, il est vrai, avait porté un ciseau prudent dans le chapitre nègre et le chapitre juif. Mais cela se passait dans les temps timides de 1935.
    Au printemps de 1936, nous possédions entre les mains, avec Je Suis Partout, un instrument de polémique fort remarquable, qui nous rapportait environ cinq sous de la ligne, mais que nous venions d’employer avec une énergie croissante pour l’affaire des sanctions, pour toute la sale cuisine préalable au Front Populaire. Tant et si bien que les riches mercantis de la maison Fayard, pris d’une intense venette en voyant au pouvoir les hommes qu’un de leurs journaux venait de couvrir d’opprobres pendant tout l’hiver, avaient décidé de supprimer purement et simplement Je Suis Partout, et placardé dans ses colonnes l’annonce de sa disparition. Le même jour, Je Suis Partout renaissait de ses cendres, autour d’un guéridon de la place Denfert-Rochereau. Nous étions là, avec notre aîné Dorsay, quatre des plus jeunes de l’équipe, P. -A. Cousteau, Georges Blond, Max Favalelli et moi, ayant tous en poche un pneumatique reçu du matin, où un gendre de M. Fayard nous apprenait « que Je Suis Partout n’était pas, comme nous le savions, une affaire, que l’insuccès des nationalistes le rendait désormais inutile », bref qu’il ne restait plus qu’à l’enterrer. Nous exhalions furieusement notre colère et notre dégoût. Nous conjurions de ne point céder, Gaxotte hésitant, objectant qu’un journal ne pouvait reparaître après avoir annoncé son trépas. Nous abandonnions pour six mois, s’il le fallait, nos modestes salaires. Nous envoyions au diable tous les us et coutumes. Nous ne voulions rien savoir, hormis qu’il nous était impossible d’accepter une aussi humiliante et ridicule défaite, de disparaître devant un Blum, par le décret de deux ou trois bourgeois verts de peur qui n’avaient même pas consulté les artisans, les vrais possesseurs de leur journal. Notre ténacité, qui était belle, l’emporta. Le vendredi suivant, nous imprimions un numéro délivré de toute contrainte, plus énergique que jamais.
    * * *
    Quelques mois après, Je Suis Partout marchait gaillardement d’un pied neuf, avec une petite troupe de nouveaux venus : Charles Lesca, notre administrateur, majestueux, souriant, d’un courage politique que rien ne devait ébranler, Alain Laubreaux, arrivant des journaux et des milieux du radicalisme toulousain, d’abord accueilli avec quelques réticences, mais qui allait compter bientôt parmi les plus convaincus et les plus entraînants de notre bord. En quelques semaines, par son mordant et sa verve, il donna la célébrité à notre chronique dramatique où il succédait au Juif à barbe assyrienne Benjamin Crémieux. Robert Brasillach, que je connaissais depuis longtemps, puisqu’il était déjà critique littéraire del ’Action Française à vingt-trois ans, avait accepté d’être notre rédacteur en chef, mettant aussitôt à notre service cent idées par jour et toutes les formes d’un inépuisable talent.

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