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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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ferveur gaulliste. Tous les patronages égrenaient des neuvaines pour le triomphe du grand connétable français de Londres. Et les patronages étaient en train de devenir une institution d’État.
    L’armée n’avait pas tiré de l’énorme leçon de mai le plus petit enseignement. Elle en comprenait seulement que désormais étaient possibles des choses singulières, dont les manuels et les instructions tactiques n’avaient jamais parlé, et qui repoussaient dans la préhistoire la guerre de tranchées, le grignotage, les boucheries réglementaires dans les fils de fer barbelés. Du coup, elle passait de sa routine à une sorte de surréalisme militaire. Les brevetés qui pendant dix mois n’avaient pas été fichus de faire proprement le métier de cabot-rata, s’ébrouaient maintenant avec désinvolture au milieu d’un Kriegspiel à la Wells, manœuvraient leurs cinquante bataillons du Transvaal à la Norvège.
    Les Juifs, cela va de soi, fournissaient un appui enthousiaste. Après quelques semaines d’une bien réjouissante épouvante, devant la mansuétude officielle ils avaient repris une assurance décuplée. Le violent passage de l’effroi à l’espoir avait mis en ébullition leur frénésie séculaire. L’Angleterre livrait leur dernière bataille. Ils s’accrochaient à elle fiévreusement, de toutes leurs griffes. Leur messianisme débordait. Ils savaient leurs plus puissants frères de Londres et de New York acharnés à prolonger cette guerre qu’ils avaient follement et férocement voulue, à écarter cette paix qui annoncerait la destruction fatale du Temple. Avec leur mépris de la force armée et du courage viril, leur religion de l’or, ils ne pouvaient qu’attendre la victoire anglaise, en y mettant cette fureur dans l’illusion par où Israël s’est toujours perdu.
    L’espoir anglais donnait la clef de la plupart des énigmes vichyssoises.
    Un nouvel État avait peut-être vu le jour. Mais le cordon ombilical qui le liait au vieux régime démocratique n’était pas coupé.
    Cela tenait sans doute au faible caractère de la plupart des ministres, à leur jeannoterie congénitale de libéraux, aptes à faire une révolution comme M. Maurice Chevalier à jouer Hamlet, et qui n’auraient pas signé une condamnation à mort sans prendre l’avis de vingt-quatre confesseurs.
    Mais la raison essentielle était ailleurs. Puisqu’on croyait communément que les démocraties anglo-saxonnes finiraient par l’emporter, il n’avait pas été si absurde et criminel de nous embarquer en septembre 1939 dans une guerre qui se terminerait par une victoire. Pourquoi eût-on sincèrement regretté de l’avoir déclarée ? Comme pour Churchill et Roosevelt, cette guerre demeurait, pour les purs vichyssois, leur guerre, une croisade et la défense suprême de leurs intérêts. Du reste, on aurait pu rechercher longtemps ce qu’ils avaient fait l’année précédente pour l’empêcher, tandis qu’on voyait trop bien tous les encouragements qu’ils lui avaient prodigués, ne concevant point lors de la crise de Dantzig d’autre issue, de même qu’ils n’imaginaient rien aujourd’hui hors d’une continuation à outrance de cette guerre par Londres et par New York.
    Dès lors, Reynaud, Daladier, Mandel n’étaient plus d’affreux coupables, mais d’avisés politiques, des martyrs du patriotisme, qui triompheraient au bout d’une cruelle épreuve. D’où la répugnance extrême que l’on mettait à les inquiéter, puis les égards dont on les entoura après qu’on eut été contraint de s’assurer de leurs précieuses personnes.
    Les fameux passagers du Massilia n’étaient plus des fuyards, mais d’énergiques citoyens qui avaient refusé de se rendre. La nostalgie de la retraite en Afrique du Nord habitait bien des cœurs de l’hôtel du Parc.
    Les dissidents gaullistes faisaient figure de héros. Si on ne pouvait les applaudir trop bruyamment, on étouffa très vite les voix qui dénonçaient leurs chefs. Nous appelions, à la radio, De Gaulle le « général félon ». On nous interdit d’abord de lui donner du général, sur les instances de MM. les militaires, puis du félon. Le ton officiel était de s’abstenir pour lui de tout qualificatif, en attendant de le faire bénéficier d’un silence indulgent.
    Il va de soi que tout rappel de la trahison anglaise, de l’insignifiance et de la lâcheté du corps expéditionnaire britannique, voire de Mers-el-Kebir,

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