Les Décombres
rapportait de la zone occupée cette réconfortante nouvelle. Il y puisait la certitude que les Anglais gagneraient, et ajoutait de sensationnels détails sur la chute catastrophique du moral chez les troupes allemandes, blêmissant à l’idée de retourner dans un pareil enfer.
Je pus bien lui répondre qu’il était rigoureusement invraisemblable que la radio britannique, à l’affût des plus maigres et douteux succès, reflétant une peur panique de l’invasion, n’eût pas soufflé un mot d’une victoire aussi considérable et tellement propre à ragaillardir les cœurs anglais. Mais il haussa les épaules devant cette spécieuse objection.
Vichy avait misé sur la victoire anglaise.
CHAPITRE XXVI -
GAULOISERIES DAUTOMNE
Une bévue aussi déconcertante et lourde de conséquences que l’anglomanie vichyssoise réclame quelques explications.
La première est certainement dans la médiocrité de la plupart des hommes maîtres du nouveau pouvoir. Cette médiocrité expliquait elle-même notre défaite. Tout se tient et découle des mêmes sources.
Si la France avait été capable de mettre au jour avant 1939 un grand parti national et révolutionnaire, nombreux et pourvu de puissants moyens, ce parti, même confiné dans l’opposition, eût vraisemblablement évité une guerre avant tout dirigée contre l’ordre neuf qu’il représentait. Même en n’y parvenant point, il eût été le vainqueur moral de juillet 1940, le successeur désigné du régime déchu, et devant l’Allemagne le négociateur le plus sûr d’être entendu. Ce parti avait été rêvé, tenté, mais par des hommes trop pauvres, trop jeunes, trop scrupuleux,trop divisés, de trop petite ambition, lucides mais atteints cependant eux-mêmes de cette anémie dont se mourait la France, ayant dressé contre eux, depuis Israël jusqu’à l’Église démocratique, une gigantesque et décourageante coalition. Ils étaient aujourd’hui plus dispersés que jamais par la retraite, l’exode, les camps de prisonniers.
Dans l’absence d’un tel parti, devant la déconfiture des parlementaires, il avait été malheureusement assez logique qu’un vieux soldat, éloigné depuis longtemps de la vie publique, s’adressât pour former son gouvernement et ses services aux cadres naturels de la nation : l’Université, la magistrature, l’armée, le clergé, les grandes administrations.
Mais ces cadres avaient eux-mêmes participé de cette longue dégénérescence sociale, intellectuelle, politique, sans laquelle l’effondrement aussi piteux et complet d’un pays tel que le nôtre ne pouvait s’imaginer. Ils avaient tous honteusement ou platement failli à leurs missions : éducation des esprits, des cœurs, des corps, apaisement de la lutte des classes, équité et indépendance de la justice, rajeunissement des machineries centenaires de l’armée ou des bureaux. Ils avaient été les serviteurs consentants ou les dociles complices de tous les ministères de ruine et de déshonneur. Ils avaient été pétris de tous les poncifs, tous les préjugés d’une bourgeoisie bornée, égoïste et poltronne.
Au moment où plus rien ne devait être conservé, on voyait reparaître tous les conservateurs.
Et parmi ceux-ci s’étaient aussitôt poussés aux premiers rangs les représentants des castes les plus imbues d’une supériorité illusoire, les plus enfermées dans des abstractions fallacieuses : l’inspection des Finances, Polytechnique, le Conseil d’État.
Le plus grave était encore qu’aussitôt en place, se serrant les coudes, ils avaient opposé un impitoyable barrage à tous ceux qui n’étaient point à leur stricte ressemblance et eussent pu dans quelque mesure corriger leurs sottises. Ils peuplaient leurs services de leurs créatures, amis et connaissances, remettant tous les postes de l’État nouveau à des aveugles et des incapables satisfaits.
* * *
Ces gens-là ne pouvaient pas prendre parti contre l’Angleterre. Il leur eût fallu se renier eux-mêmes avec un courage et une clairvoyance dont je me demande où ils auraient puisé le secret. Ils tenaient à l’Angleterre par leur pseudo-libéralisme, par leur culte atavique des forces de l’argent. Le cynisme et la brutalité de la finance anglaise, régnant en soudoyant les riches, en maintenant les faibles dans une misère sordide, étaient aussi leurs méthodes favorites. Cet énorme empire édifié à coups de chèques, sur des fictions
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