Les Décombres
La Barthète, à la cervelle si frivole, ne pensaient pas autrement que les manœuvres alcooliques hébétés par vingt années de propagande rouge, que les bedeaux de village et les perroquets de salon.
Par eux-mêmes, par leurs familiers, dans cette potinière aux cent mille échos qu’était Vichy, nous pouvions suivre jour par jour leurs opinions.
Elles étaient en train de devenir par leurs soins un dogme d’État.
Seuls des énergumènes suspects (votre serviteur par exemple) ou des ignorants, pouvaient parler de la victoire allemande. C’était là une hypothèse qui frisait l’absurde. On nous l’avait fait savoir par le Deuxième Bureau. Les ressources du glorieux Empire Britannique étaient inépuisables, et devant elles, l’Allemagne succomberait fatalement.
Au début de septembre 1940, M. du Moulin de La Barthète assurait que le Reich était menacé de façon imminente par de graves troubles sociaux.
Les experts économiques, ceux de l’illustre S. R. particulièrement écoutés, intervenaient doctoralement, jonglant toujours avec les tonnes de pétrole, d’acier, de nickel, de blé, d’huile.
Nous devions déjà à ces omniscients personnages la fameuse fable de mai, Hitler à bout d’essence faisant une « sortie » désespérée d’assiégé. Mais les experts ne s’arrêtaient pas à ces souvenirs négligeables : leurs courbes et leurs statistiques tournaient plus que jamais à la confusion des Germains.
Les Anglais finiraient la guerre un peu las, mais victorieux, et nous à leurs côtés, frais, dispos, triomphants.
* * *
Ces insanités avaient une diffusion invraisemblable. Un homme doué de sens commun en arrivait à rougir des billevesées où le poussaient de telles querelles, d’en être à demander comment une armée anglaise parviendrait bien à reprendre pied sur la terre d’Europe, comment cette armée redébarquée (!), infime, novice, mal encadrée, n’ayant pas un vrai général, pourrait culbuter jusqu’au-delà du Rhin tous les millions de soldats allemands formant la plus parfaite, la plus puissante et la plus savante machine de guerre de tous les temps. Bah ! à coups de bateaux (ces bateaux que l’on promène si bien au gré de tous les délires géographiques), de famines, de révolutions, d’Amériques, d’Afriques on vous arrangeait agréablement tout cela.
On vous affirmait encore avec un sourire hautain que même si un débarquement anglais se révélait trop difficile, la Royal Air Force suffirait à coup sûr pour chasser la Wehrmacht de toutes ses conquêtes, pour mettre l’Allemagne terrifiée sur les genoux. Il ne fallait point essayer de répliquer que, même si l’aviation britannique et la Luftwaffe arrivaient à se balancer en qualité et en nombre, tandis que l’Île offrirait aux Germains une cible idéale, les pilotes anglais verraient du Cap Nord à Hendaye, de Brest à la Vistule, de Hambourg aux Carpates, s’étendre à l’infini sous leurs ailes un objectif vraiment décourageant. À cette arithmétique élémentaire mais exacte, on vous objectait aussitôt des intégrales quasi métaphysiques.
Les ministres « neutres », personnages fantomatiques, destinés par nature à ne jamais rien penser qui leur fût propre, le bon M. Caziot, l’honnête professeur Georges Ripert, se gardaient bien de contredire les agités et les importants qui donnaient le ton.
Des sommets de l’État, cette démence avait gagné tous les services, tourneboulé un monde de collaborateurs, de confidents, de porte-paroles, de fonctionnaires grands et petits. Las de remuer ce monceau d’idioties, je n’en donnerai qu’un exemple.
La France entière a connu par les gaullisants la fameuse tentative de débarquement massif des Allemands en Angleterre et son piteux échec. On lui a décrit la Manche rejetant sur les plages des montagnes de cadavres, les blessés râlant aux portes des hôpitaux bondés, les innombrables « feldgrau » brûlés par les barrières de mazout enflammé. Or, l’homme de qui j’entendis pour la première fois cette fable digne de l’an Mille était une des meilleures têtes du nouveau ministère de l’Agriculture, l’un des plus brillants spécialistes des problèmes corporatifs, un garçon dans la force de l’âge, penché sur les réalités de la terre, et dont je connaissais depuis des années l’intelligence, à laquelle on ne pouvait reprocher que d’être presque trop bondissante et subtile. Il
Weitere Kostenlose Bücher