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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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sa patrie. Tel était l’état d’âme qu’avaient forgé aux moins crédules, aux moins ignorants, aux plus « nazis » d’entre nous trente mois de calomnies, de falsifications. C’était cela qu’on appelait un moral bien préparé. Fameux travail. Le parti de la guerre pouvait se féliciter et ne plus contenir sa hâte d’employer un aussi brave outil.
    Mon espérance était devenue presque passive. Elle ne me quittait point encore pour cela. Je voulais toujours croire que nous allions vers un abandon hargneux de Dantzig.
    * * *
    La nuit du vendredi au samedi m’assombrit. La cérémonie de Tannenberg, qui devait avoir lieu le dimanche, nous laissant, pensait-on, un délai jusque-là, était supprimée. Comme un diagramme de clinique, les rouleaux interminables des « printings » nous révélaient la fièvre montant à travers l’Europe. De tous côtés, des bateaux rejoignaient à force de machines leurs ports d’attache. L’Allemagne était entourée d’un nuage de mystère d’où ne sortaient que des cris de plus en plus furibonds à l’endroit de la Pologne et, semblait-il aussi, quelques coups de fusil. On n’osait plus prétendre que cet inquiétant brouillard était encore un artifice des bellicistes. Le cas de Dantzig paraissait déjà dépassé.
    Le texte de l’accord germano-soviétique encore plus accablant et péremptoire qu’on ne le prévoyait, l’insupportable palinodie des communistes applaudissant ce pacte avec un enthousiasme éhonté achevaient de sceller, hélas ! l’union sacrée.
    Le formidable imprévu de la manœuvre désarçonnait les esprits les mieux lestés de réalisme. À leur tour, ils devenaient les jouets de ces flatulences du cerveau, de ces chatouillements d’épiderme, de ces chaleurs des boyaux décorés du nom de sentiments et d’idéologies, qui avaient tant excité leur rire ou leur fureur. Ils avaient su juger sans faiblesse la tyrannie et l’infirmité du socialisme à la mode judéo-asiatique, le combattre avec de bonnes armes. Mais ils ne savaient pas se hisser par-dessus leurs plus justes répugnances, par-dessus la grosse imagerie antimarxiste, pour voir le rude et génial machiavélisme de Hitler. Le Horst Wessel Lied, une brochure anticommuniste de la Maison brune retrouvée dans leur bibliothèque leur masquaient l’énorme victoire que son audace gagnait au chancelier. Une amnésie foudroyante leur ravissait tout souvenir du degré insurpassable de discipline, d’abandon unanime et serein à ses volontés, à quoi le chef de l’Allemagne avait su amener une opinion publique par nature déjà si docile pour de telles affaires.
    On a une grande peine à remettre dans leur vraie couleur d’aussi étranges errements alors que cette magistrale opération du Führer, neutralisant le plus dangereux mais aussi le plus louvoyant de ses ennemis, put apparaître douze mois plus tard aux mêmes esprits, avec la même clarté et la même évidence, aussi naturelle, aussi nécessairement inscrite dans la logique des choses que la faillite verticale de la démocratie.
    Il faut croire que certains systèmes intellectuels et affectifs, forgés de longue date, atteignent dans les grands embrasements de l’histoire un point d’incandescence où ils aveuglent tous les yeux, où leur usage devient impossible ou fatal, avant qu’ils ne fondent, ne se volatilisent à jamais, ou n’aillent se couler dans les moules des vérités indestructibles et des nouvelles erreurs.
    Ainsi, proclamait-on, Hitler, en traitant avec Staline, se retranchait de l’Europe et du monde habitable. Aucun doute n’était toléré sur cette évidence qui venait fermer une chaîne infinie de dogmes, de thèses et de convictions qui avaient fini par devenir feuilletonesques : pour les esprits les plus nourris, l’asiatisme de l’Allemagne fédérée par la descendance des Slaves de Prusse et menaçant l’Occident, l’orientalisme de Nietzsche, l’hindouisme de Wagner, la frontière de la pensée civilisée inexorablement fixée aux rives du Rhin, pour les naïfs, les « analogies », gravement révélées, « du nazisme et du bolchevisme », le uhlan confondu avec le Hun, Hitler chef tartare. Les derniers défenseurs de la paix française rejoignaient donc hélas ! l’immense troupeau des niais et les pires bandes de la guerre d’Israël, de Londres, de l’or, de la maçonnerie, des Droits de l’Homme, de la démocratie catholique, pour le même combat contre la

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