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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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par là, était impatient de savoir si Brasillach, rentré d’Espagne de la veille, comptait encore cette fois dans le lot. On hésitait à lui téléphoner si tard. Je m’armai de férocité. La sonnette le réveilla, le pauvre vieux, en sursaut. Il avait le fascicule 3.
    Rentré, chez moi, je lus jusqu’à près de quatre heures du matin des bouquins militaires. Rien d’autre ne pouvait distraire ma tête… Au demeurant, toute espèce d’angoisse m’avait quitté.
    * * *
    Le jeudi, alors que l’accord Ribbentrop-Molotov était déjà paraphé depuis plusieurs heures, nos honorables ambassadeurs de Moscou et de Berlin, le dénommé Naggiar et le dénommé Coulondre, pour se racheter de n’avoir pas eu depuis des semaines le plus petit soupçon de ce qui se tramait, téléphonaient le premier que le torchon brûlait entre la délégation russe et la délégation allemande, le second qu’il fallait surtout se garder de briser quoi que ce fût avec Moscou. Le compliment du papa Bienvenu-Martin à de Schoën lui apportant le 3 août 1914 la déclaration de guerre appartient peut-être à la légende. Nous aurions cette fois beaucoup mieux.
    Les avis de ces observateurs si autorisés faisaient toujours prime à la conférence du Quai d’Orsay.
    Nous revivions exactement les heures d’avant Munich, le dernier verre bu avec les amis mobilisés, la gare de l’Est grouillant d’uniformes fripés et dépareillés, mais cette fois avec des nerfs blasés, une résignation mécanique. Que ce siècle était donc ennuyeux !
    Un de mes cadets préférés, Pierre Boutang, remplaçait depuis quelques jours à la Revue de la Presse del’ Action Française, qui a été de tout temps une des rubriques importantes dans Paris, le titulaire, un garçon fin et discret du nom de Pierre Léger.
    À vingt-deux ans, Boutang était père de deux bambins, sorti de Normale, agrégé de philosophie. Avec cela blond et imberbe comme un page, fort comme un champion d’olympiades, ayant franchi trop facilement les plus écrasantes épreuves pour ne pas être l’antithèse vivante d’une bête à concours. Ses triomphes universitaires, au lieu de le désigner comme il se doit d’habitude à notre juste méfiance, n’étaient que la consécration naturelle de ses dons. Je l’aimais tendrement pour son feu, la roideur de ses haines, son orgueil encore ingénu et même sa confiance un peu irritante dans ses catégories de philosophe. Je le savais déjà presque trop bon dialecticien. L’événement le révélait au surcroît polémiste. Avec une vigueur superbe de colère et de raison, il démolissait les principes sacrés de la démocratie, déchirait les traités, traquait la meute des bellicistes millionnaires, fustigeait les ministres, rappelait les généraux à la réflexion, dépiautait Chamberlain, Churchill et Roosevelt, tout en haut d’un sixième du faubourg Saint-Jacques, dans une chambrette remplie de chaussettes trouées et de bouquins grecs épars. Les journaleux du Quai d’Orsay pilotaient des voitures étincelantes. Boutang, ce matin-là, avait emprunté vingt francs pour acheter sa collection de journaux. Jusqu’au soir, nous rabâchâmes ensemble [jusqu’à l’écœurement] nos arguments et nos dégoûts, l’obnubilation des juristes et des perroquets de presse, insensibles à la réalité, c’est-à-dire à l’insignifiance du cas Dantzig, le seul cependant qui jusque-là se posât. On ne s’était pas battu pour les vaches des Sudètes. Il n’était certainement pas plus urgent de se battre pour un port dont personne n’avait jamais contesté qu’il fût entièrement allemand et pour la concession d’une autostrade à travers le couloir, c’est-à-dire un territoire aux trois quarts germain.
    Mais je n’éprouvais plus cette passion de l’année précédente, ce furieux désir de me jeter tout entier dans le combat pour la paix. L’annexion pure et simple de la Tchéquie après Munich nous enlevait nos meilleures armes, créait un trop écrasant précédent. Ou bien il eût fallu remonter trop haut, pulvériser trop de dogmes, abonder dans le sens de Hitler avec une liberté et une sérénité dont personne n’était plus capable. En eût-on eu le courage, trop de scrupules nous auraient imposé silence. Un Français de notre espèce n’osait plus s’accorder le droit de nourrir de telles pensées, de les répandre autour de lui sans craindre d’être grossièrement dupé et de faire duper

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