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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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lequel perçait une sorte de gaîté irrésistible. Pour lui comme pour nous sans doute, le fiasco de Moscou était d’abord une revanche personnelle sur les conjurés de ses propres services, sur l’infernale et imbécile bande de moscoutaires, dont Alexis Léger était l’âme, qui depuis quinze mois accablait de trahisons, de crocs-en-jambe, d’insultes l’unique ministre sensé que la France possédât. Nous n’avions pas dans notre bord à dissimuler l’épanouissement d’une telle satisfaction. Était-elle convenable à pareille heure chez un homme de gouvernement ? J’en ai fait pendant plus de trois jours des anecdotes probablement injustes. Ce qu’on sait aujourd’hui de ces semaines prouve que Georges Bonnet y a rempli son devoir. Mais de toute évidence, sa maison lui échappait. Un sous-chef de bureau y avait plus de poids que lui. Il pouvait comploter contre la politique du ministre, faire exécuter à sa barbe les ordres de ses ennemis. Il était infiniment plus redouté. Il demeurerait quand Son Excellence aurait chu.
    Sur ce vil personnel, un ministre eût pu, j’en suis sûr, prendre barre par des méthodes d’une énergie brutale. Mais dans son isolement, Bonnet s’y fût vite brisé les reins. Qu’un homme parvînt à imposer dans une telle place cette révolution des mœurs, et le sort de la France tournait. La guerre nous était épargnée. Cet homme, sans doute, serait aujourd’hui le maître du pays. On ne peut reprocher très sérieusement à Georges Bonnet de ne pas avoir tenu ce rôle. Il avait ce caractère arrondi et amorti par la continuelle nécessité du détour qui aura distingué tous les grands personnages de notre démocratie. Fait autrement, il n’eût jamais atteint le rang où il se maintenait tant bien que mal. Bonnet aura été le témoin intelligent, dont l’impuissante lucidité rend le drame plus affreux.
    * * *
    Le lendemain mercredi, le diagnostic n’était plus douteux : au Quai, le pouls de la guerre battait dur et tendu. On vérifiait, on tâtait dans une grave agitation les fameux déclics des pactes automatiques. « Fonctionneraient-ils ? Ne fonctionneraient-ils pas ? »
    Je ne voulais encore y voir qu’un rite, le branle-bas d’alerte pour rien des grands jours d’offense à la dignité humaine. Nous n’arrivions pas à comprendre comment la guerre pouvait devenir pour la France et la Grande-Bretagne une nécessité plus que jamais impérieuse, à l’instant où ces pays voyaient s’écrouler tout le système sur lequel ils comptaient pour mener cette guerre. L’opiniâtreté ahurissante de la soviétophilie continuait à faire notre émerveillement. Les attachés de presse insistaient plus que jamais pour « qu’on ne montât pas en épingle l’entrevue Ribbentrop-Molotov ». Le Quai répétait à tous les étages : « Les négociations continuent à Moscou avec les délégués franco-anglais. Surtout, qu’on sache bien que rien n’est perdu de ce côté-là. »
    Encore ignorions-nous tout ce qui venait de se dérouler en Conseil des ministres et dans la coulisse du gouvernement : la volte-face soviétique expliquée par la tiédeur et les hésitations de la France, causées elles-mêmes par les campagnes des nationaux qui n’en finissaient pas de crier casse-cou, en somme Staline se précipitant dans les bras de Hitler par la faute des « fascistes » ; Daladier prêt aux plus écœurantes humiliations, proposant qu’on obligeât, pour amadouer Moscou, les Polonais à accepter le passage des Russes sur leur sol.
    Nous savions encore moins que les boutefeux refusaient tout projet de conversation avec l’Italie, qu’en revanche, ils réclamaient sans délai la mobilisation générale.
    En vérité, notre instinct seul pouvait nous renseigner. J’eus pour mon compte le premier pressentiment de la catastrophe le mercredi soir 23 août. Vers huit heures, j’avais pris, pour gagner l’imprimerie, l’autobus qui, de Neuilly où j’habitais maintenant, descendait les Champs-Élysées et la rue de Rivoli. Il bruinait sur un Paris tout à coup désert, recroquevillé. Le receveur parla de 1 500 voitures de la T. C. R. P. qu’on venait de réquisitionner. En un clin d’œil, une sensation funèbre m’envahit. Il allait donc falloir revivre septembre 38.
    Je n’eus aucune surprise quand une dépêche vint nous apprendre un peu après minuit le rappel des réservistes des échelons 2 et 3. Henri Massis, qui passait

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