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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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d’ambassades tombaient les pattes en l’air. Leur laborieuse machine de guerre s’effondrait en bois d’allumettes. Avant qu’ils se fussent remis dans un incertain aplomb, les Allemands auraient manœuvré, et nous nous retrouverions encore, cocus et scandalisés, devant le fait accompli. Berlin ne calculait pas autrement.
    J’avais trouvé Brasillach, fasciste impénitent, dans le même sentiment. Nous étions si bien familiarisés avec la politique nationale-socialiste que d’instinct nous raisonnions selon sa pente. Nous comprenions à merveille ce que Hitler disait, décrivait, refusait, proposait. Avec cet Allemand jugé si fumeux, nous remuions de claires et très pondérables réalités.. C’étaient les vaticinations de la démocratie qui nous restaient inconcevables, ses sables mouvants qui paraissaient toujours plus étrangers à nos pieds.
    Dans la journée du mardi, Maurras me dépêcha au quai d’Orsay, pour y représenter le journal à la conférence de la presse diplomatique. Cela constituait pour moi toute une initiation, dans des circonstances aussi extraordinaires qu’il se pût. J’escomptais le pire ; l’imbécillité de cette cérémonie dont dépendait le lendemain l’opinion de toute la France me sidéra. J’attendais des faisans arrogants et pontifiants. Je trouvai des petits sous-chefs de bureaucratie effarés. Notez qu’il s’agissait de personnages considérables, ayant rang d’ambassadeurs et le crédit à l’avenant. Quelle aveuglante explication à la honteuse série de nos reculades, de nos dégringolades, des nasardes essuyées ! Comment avoir fait l’honneur à ces paltoquets de discuter historiquement ou politiquement leurs méfaits ? Des balles de son eussent suffi pour les démolir. J’en voulais aux plus avisés des confrères qui se trouvaient là de ne nous avoir jamais décrit ce misérable guignol dans ses vraies couleurs. Mais les meilleurs se gonflaient des fictions de leur importance, du sérieux supposé de ce lieu et du lustre qu’ils en recevaient. L’auréole du Quai était sacrée puisqu’elle les nimbait. Exceptons-en un, deux peut-être, au caractère bien tranché. Pour tous les autres, même les plus estimables, n’importe lequel eût sacrifié les devoirs de la vérité la plus élémentaire à l’orgueil de parler seul, quatre-vingts secondes, avec un ministre ou un sous-ministre entre deux portes d’antichambre, sur le marchepied d’un wagon. Leur vie était de répandre une odeur de secret d’État, de dégoiser sentencieusement des chapelets d’hypothèses divagantes, et de festonner aux alentours de minuit un papier digne d’un élève de cinquième avec des « On croit savoir en haut lieu » et des « Les cercles autorisés soulignent ». Ce que l’on soulignait et ce qu’on croyait savoir portait toujours à travers le public les miasmes juridiques et belliqueux de la boutique au négroïde Léger, secrétaire général et maître tout-puissant de nos Affaires étrangères.
    Tout ce que je pus apprendre de positif ce fut que l’inquiétude majeure du Quai était de dissimuler autant qu’il se pouvait l’énormité de l’affront russe. Les grands attachés et les puissants secrétaires n’avaient de bouche que pour une seule consigne, mais extrêmement pressante, minimiser, selon leur [misérable] jargon, la nouvelle incongrue. Vous venez chapeau bas tirer la sonnette d’un malotru. Il vous reçoit d’un gigantesque coup de bottes aux fesses. Ce n’est rien. Minimisez les bleus de votre cul. Excusez gracieusement cette vivacité ! Si dans l’instant d’après, vous vous posez en chevalier de l’honneur, redresseur de torts, défenseur de la veuve et de l’orphelin, la farce sera parfaite.
    La France aura réussi ce tour de jouer à la fois Matamore et Lagardère. Comment eût-on voulu qu’une telle pièce se terminât décemment ?
    On nous annonça en grand appareil que vu l’exceptionnelle importance des événements, M. le ministre Georges Bonnet voulait bien nous recevoir. Le troupeau des plumitifs se précipita. Le ministre nous déclara joyeusement qu’il n’avait rien à nous dire. On quitta cependant le beau bureau doré avec des mines solennelles. Quelques traînards qui n’avaient pu entrer s’accrochaient aux manches des vestons. On leur faisait majestueusement savoir que dans un tel jour les tuyaux ne se revendaient pas.
    J’avais surtout remarqué le visage de Georges Bonnet sur

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