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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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barbarie. Ils justifiaient l’égale épouvante de la médiocrité bourgeoise devant le drapeau rouge de Staline et le drapeau rouge de Hitler. Ils acquiesçaient aux postulats les plus insanes du bellicisme : Hitler reniant son destin, Hitler aux abois sapant toute son œuvre, démoralisant ses croyants, vouant son peuple aux plus mortelles divisions.
    Je ne nie pas que dans un tel tourbillon, devant les gouffres d’hypothèses qui s’ouvraient tout à coup,
    Spirale engloutissant les mondes et les jours…
    il eût fallu une tête étrangement solide pour mater le vertige. J’observe simplement qu’il ne s’en trouva guère ou qu’elles se cachaient bien.
    Je me flatte que la mienne était une des moins détraquées. Elle ne valait pas le diable pourtant. Je cherchais un point pour fixer ma malheureuse boussole. Je ne voulais plus douter que Hitler ne poursuivît une gigantesque nazification du continent. C’était bien la lutte de deux conceptions du monde. Non, je haïssais trop l’Occident enjuivé, son christianisme putréfié, pour être résolument partisan dans ce tournoi. Mais l’équivoque pouvait-elle s’éterniser ? Ne faudrait-il pas que l’épreuve des armes désignât le plus fort ? Après tout, la guerre était une des activités de l’homme.
    Pourtant, dans la nuit du samedi, dont on redoutait beaucoup, malgré le redoublement quasi mécanique des mesures militaires, des symptômes certains de détente se manifestaient. La cadence des dépêches se ralentissait, le ton des journaux allemands baissait, les incidents de Pologne étaient moins nombreux. Des entretiens se nouaient aux quatre coins de l’Europe entre les vedettes diplomatiques. Bon : au moment où l’on se faisait une résignation, la foudre ce coup-là encore allait-elle foirer ? Je me sentais envahi par une immense rigolade. Je n’osais m’y abandonner, ni même l’exprimer. Sur mon journal de bord, que j’avais rouvert depuis le début de la crise, j’eus la superstition de n’écrire en finissant cette nuit-là qu’un mot : pantagruélisme. Si nous nous en tirions, que le feu de Dieu s’en mît, personne ne me délogerait plus du pantagruélisme : « Vous entendez que c’est certaine gayeté d’esprit conficte en méspris des choses fortuites. »
    * * *
    Il y eut un grand dimanche plat et ensoleillé. J’allai me promener aux alentours de l’École Militaire, par amour des soldats, parce que le cœur de Paris battait de ce côté-là. Sur l’esplanade du Champ-de-Mars, un antique colonel du train des équipages, tout chenu et déteint, mensurait, enregistrait interminablement, avec un inexplicable cérémonial d’allées et de venues, une douzaine de bourrins d’assez piètre apparence. Aux grilles des casernes, de longues files de femmes et de mioches guettaient la sortie de leurs mobilisés.
    Une immense foule coulait à pas de badauds le long des avenues, s’étalait aux terrasses des cafés. Les réservistes étaient innombrables, pour la plupart corrects dans des kakis tout raides d’apprêt, les écussons cachés par une petite patte. Les gars de l’active tranchaient avec leurs képis et leurs numéros. Tout cela respirait une vaste placidité. [Paris tout entier exhalait l’épatement des viandes et des digestions, des loisirs fades et niais, le ruminement doux et bête de ce gros animal au repos que forment quatre millions endimanchés de bipèdes présumés pensants.]
    Cependant, cette multitude militaire décourageait l’optimisme. L’enrégimentement des citoyens atteignait cette fois de colossales proportions. Se pourrait-il encore qu’un tel remue-ménage ne servît à rien ? Cela ne devenait-il pas plus impensable encore que la guerre elle-même ?
    La nuit venue, étouffant la rumeur du peuple, on n’entendit plus à nouveau que la sourde et confuse menace du volcan.
    * * *
    Le mardi 29 août, sous le titre « Clairvoyance de l’ Action Française  », Léon Daudet, qui avait déjà démontré une cinquantaine de fois par les marches sur Vienne et sur Prague le fiasco de la motorisation allemande, écrivait : « Si demain il y avait la guerre avec l’Allemagne, sur la question des colonies par exemple… » Le cher Daudet n’avait pas encore appris du fond de ses limbes, où il remâchait sereinement et sans fin les localisations de Broca, l’hystérie et la « branloire pérenne », qu’il existait un certain pays du nom de Pologne, une certaine ville du

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