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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Lucien Rebatet
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été inspiré par ses alarmes, il soutenait intrépidement que pour sauver la Pologne, il fallait d’abord sauver la France, « sauver la mère », comme disent les accoucheurs. La France, continuant à vivre, réenfanterait un jour la Pologne disparue en 1939.
    J’y souscrivais avec un extrême enthousiasme. Dans les grandes époques, on se battait pour se partager les Polognes. Il ne fût jamais venu à l’idée de quiconque de mourir pour sauver la liberté des Polonais. J’avais beau croire, comme nous avions tous eu, Je Suis Partout en tête, la candeur de l’imprimer et de le réimprimer ces jours-là, que la Pologne était une nation et une armée, que les Polonais n’étaient pas des Tchèques, je les haïssais déjà de toutes mes forces puisqu’ils allaient sans doute provoquer le massacre que les Tchèques du moins nous avaient épargné. Parmi les horribles ténèbres de ce « black-out » redevenu réglementaire, et qui jetait un tel deuil dans le cœur des amants de Paris, je sacrais que le sort de toutes les nom de Dieu de Polognes du monde ne méritait pas l’extinction d’un seul réverbère sur les Champs-Élysées. C’était un siècle absurde, un système du monde imbécile que ceux qui contraignaient des vignerons de la vallée du Rhône, des Basques, des Provençaux, après que leurs pères furent morts pour des Serbes, à s’en aller mourir pour des conflits de Silésies et de Polognes, de ces pays lugubres, de ces landes mornes et vagues. « Nisi si patria sit… »
    Mais Maurras faisait la diplomatie de 1890. La moins ambitieuse de ses propositions exigeait le renversement immédiat du régime français et de sa politique. Maurras demeurait le seul à concevoir, à appréhender le réel. Il ne l’enfermait pas moins avec lui dans le bastion d’une logique inexpugnable, mais inaccessible aussi. Son désir têtu de paix, chevillé en lui par l’intelligence, par l’amour de la vie et de la France, n’aboutissait qu’à créer un système de pure forme, aussi abstrait, aussi métaphysique que ceux des procéduriers du massacre, des chevaucheurs d’idéaux, ses vieux ennemis. Mais des nébuleuses de ceux-ci l’éclair pouvait jaillir, leur jurisprudence pouvait devenir le levier de la guerre. La raison de Maurras, elle, n’était plus que d’une tragique inutilité.
    J’avais de plus en plus conscience d’une fatalité de la guerre : non la fatalité grotesque du droit et de la morale, qui n’a servi que de prétexte à l’usage des ingénus et des algébristes, mais la fatalité de la maladie. La démocratie, au point où elle en était parvenue de judaïsation, d’asservissement aux ploutocraties, aux desseins de leur impérialisme financier, portait en elle la guerre comme un cancéreux porte la mort.
    J’essayais donc, en désespoir de cause, de me forger quelques mobiles de faire cette guerre. Au point où l’on en était, le fameux argument de l’Allemagne décuplant chez les Scythes sa force pour nous écrabouiller ensuite sans recours, demeurait l’unique justification tolérable du prochain carnage. J’en voulais un peu à Maurras de me démolir mes pauvres raisons sans que cela me parût servir désormais à grand-chose.
    Nous admirions Maurras de s’accrocher avec une aussi sublime ténacité à cet absolu indiscutable, la paix de toute façon préférable à la guerre, d’afficher avec cette franchise la révolte de son intelligence devant les motifs stupides qu’on invoquait pour déclencher le massacre. Nous nous émerveillions que Maurras, après toute une vie consacrée à la revanche ou à la défense contre le pangermanisme renaissant, sût s’imposer l’effort inouï de rester impassible et de prêcher l’abstention devant les entreprises les plus gigantesques des Germains. Nous savions les nobles causes de ce pacifisme. Maurras était certainement peu accessible à la pitié. Mais il haïssait la mort en vieux Grec. Ses fibres restaient sans doute peu sensibles aux visions de sang et de deuil. Mais son esprit ressentait avec une extraordinaire violence l’absurdité de l’holocauste où allait de nouveau périr la jeunesse française, l’irréparable dommage qui en résulterait pour notre nation. Le patriote et le logicien s’insurgeaient à la fois contre l’idée d’une telle saignée.
    Cependant, on distinguait bien vite dans son attitude cette ambiguïté qu’il était depuis des mois si facile d’apercevoir. Maurras ne

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