Les derniers jours de Jules Cesar
par de longues rangées de peupliers et
de bornes portant chiffre et orientation.
Çà et là, des hommes taillaient des pieds de vigne d’où
suintaient des larmes opaques, lymphe qui coulait dans leurs veines, devançant
le printemps. Vers l’ouest, les remparts de la ville se dressaient avec leurs
grands claveaux en pierre grise de l’Apennin, tout comme, au sud, le sommet
enneigé du mont Summano, grande pyramide émoussée.
Soudain une silhouette se matérialisa, celle d’un homme
massif muni d’un bâton de vigne, à la tête et aux épaules dissimulées sous une
cape militaire, aux lourdes sandales crottées. Il tenait son cheval par les
rênes sur un sentier qui menait à une modeste construction en briques au toit
de tuiles orné d’une antéfixe représentant un masque de gorgone : un petit
sanctuaire rustique consacré à une source voisine qui dessinait un jet puissant
sur une hauteur d’un cubitus, avant de se déverser dans un fossé qui se perdait
dans la campagne.
Il s’immobilisa près du temple et jeta un regard circulaire.
Le soleil apparut dans la brume, tel un disque pâle, projetant sur la scène une
lumière laiteuse. Les environs semblaient déserts.
C’est alors qu’une voix retentit derrière lui :
« La brume favorise certaines rencontres, et l’on peut
dire qu’elle ne fait pas défaut ici.
— Qui es-tu ? interrogea l’homme à la cape sans se
retourner.
— Mon nom de code est justement Nebula, l’ami.
— As-tu des nouvelles pour moi ?
— Oui. Mais j’ai besoin du mot de passe. Par les temps
qui courent, mieux vaut être prudent.
— Énée a débarqué.
— Exact. Cela signifie que j’ai affaire à un mythe
vivant, le centurion de première ligne Publius Sextius de la XII e Légion,
dit “le Bâton”, héros de la guerre des Gaules. On dit que tu as défilé torse nu
lors du triomphe de César, montrant les blessures que tu avais reçues au
combat. Il est, paraît-il, impossible de te tuer.
— Faux. Nous sommes tous mortels. Il suffit de frapper
au bon endroit. »
Publius Sextius fit mine de se tourner vers son
interlocuteur.
« Non. Il ne vaut mieux pas, déclara Nebula. Ma tâche
est dangereuse. Moins de gens voient mon visage, mieux c’est. »
Publius Sextius se contenta donc de regarder, droit devant
lui, les longues rangées d’érables, auxquels étaient fixés les ceps de vigne
semblables à des haches sur une herbe très verte.
« Alors ?
— Des rumeurs.
— C’est tout ce que tu as à me rapporter ? Des
rumeurs ?
— D’une consistance extraordinaire.
— Va droit au but. De quoi s’agit-il ?
— Il y a un mois, un individu a négocié avec les
autorités de Modène leur appui au gouverneur de la Cisalpine désigné pour l’an
prochain. Ces autorités ont été en contact étroit avec Cicéron et des membres
aussi influents du Sénat. »
Dans une ferme que la brume rendait plus lointaine qu’elle
ne l’était, un chien aboya. Un deuxième lui répondit. Puis un troisième. Enfin
le silence revint.
« Cela n’a rien d’inhabituel. De toute façon, quel est
le rapport avec ma mission ?
— Le sénat a déjà choisi le gouverneur. Dans ce cas,
pourquoi demander l’appui des autorités locales pour l’an prochain ? Ce
n’est pas tout. Tu as sans doute remarqué qu’il y avait des travaux en ville.
— Oui.
— On renforce les remparts et les plates-formes
destinées, sur les tours, aux engins de guerre. Une guerre contre qui ?
— Je n’en ai pas la moindre idée. Que sais-tu à ce
sujet ?
— Étant donné qu’aucune invasion ne menace, il ne peut
s’agir que de conflits civils. Une perspective pour le moins inquiétante.
— Une perspective dont César est exclu ?
— Oui. Je ne vois pas d’autre explication.
— Qui sera le nouveau gouverneur ?
— Decimus Brutus.
— Par les dieux tout-puissants !
— Actuellement, Decimus Brutus est préteur adjoint et,
comme tu l’as dit, déjà désigné comme futur gouverneur. Rien ne justifie donc
ce besoin d’approbation ni le renforcement des remparts de Modène, sinon
l’absence de César. »
Un nuage de vapeur s’échappa des narines de Publius Sextius.
Il faisait plutôt froid pour la saison. « Je ne suis pas convaincu. Il
pourrait s’agir d’un simple entretien.
— Ce n’est pas tout.
— Ah, tu commences à m’intéresser. Je t’écoute.
— Ce renseignement a un prix élevé.
— J’ai peu
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