Les derniers jours de Jules Cesar
reprises la couronne royale, que tu as refusée à deux
reprises, décidant de l’offrir à Jupiter, l’unique roi des Romains.
— C’est faux.
— Tu veux dire par là que tu l’as acceptée ?
interrogea Silius, interdit.
— Non. Mais les choses ne se sont pas passées ainsi.
Crois-tu vraiment qu’Antoine m’aurait offert la couronne royale sans mon
autorisation ou sans mon incitation ?
— Tu aurais pu le lui demander pour avoir ainsi la
possibilité de refuser devant une multitude de gens et échapper ainsi à tout
soupçon.
— C’est une explication intelligente. Si tu avais le
rang sénatorial ou l’anneau de chevalier, tu pourrais te consacrer à une
carrière politique.
— Ce n’est pas mon intention. J’ai le privilège de
vivre auprès de toi, et cela me suffit.
— Quoi qu’il en soit, cette hypothèse aussi est erronée.
L’épisode s’est déroulé de façon insolite et fortuite. Assis dans la tribune au
Champ de Mars, j’observais les évolutions des Luperques qui frappaient les
femmes de lanières de peau d’agneau afin de les rendre fertiles. Parmi eux se
trouvait Antoine, qui courait à moitié nu…
— Cela a dû déplaire.
— Oui, j’ai vu bon nombre de visages scandalisés autour
de moi. En particulier celui de Cicéron. Je ne peux lui donner tort. Antoine
partage le consulat avec moi, et l’on n’a jamais vu un consul en charge courir
à moitié nu, un fouet en peau d’agneau à la main. C’est toutefois Licinius, un
ami de Cassius Longinus, présent aux côtés de Publius Casca, qui avait pris
cette initiative.
— Des gens que je n’aime guère. »
S’abstenant de relever ce commentaire, César
poursuivit : « Il s’est approché et a déposé la couronne à mes pieds.
Devant moi, des gens ont applaudi frénétiquement en incitant Lépide à m’en
coiffer. Lorsque les spectateurs placés plus loin s’en sont aperçus, ils ont
aussitôt protesté. Ce n’étaient plus que cris scandalisés. Lépide a donc
hésité. »
Un instant, Silius parut observer des saltimbanques qui
demandaient l’aumône aux passants. César continua : « Je n’ai pas
fait un geste. Cassius s’est approché et a posé la couronne sur mes genoux. De nouveau,
une partie de la foule a applaudi et une autre a protesté. Ceux qui
applaudissaient avaient été, de toute évidence, préparés ou payés. J’en ai
déduit qu’il s’agissait d’une mise en scène. J’ai balayé l’assistance du regard
afin de graver dans ma mémoire les visages de ceux qui m’entouraient. Mais il
n’y avait là que des amis, des vétérans de mes campagnes, des gens que j’avais
récompensés.
— À ta place, je ne m’y fierais guère…
— C’est alors que la couronne a glissé et qu’elle est
tombée au sol. J’avoue que je l’y ai un peu aidée. Le moment crucial était
arrivé. L’homme qui se baisserait pour la ramasser et me la tendre une nouvelle
fois serait celui qui, plus que quiconque, entendait me mettre en
difficulté. »
À présent, César offrait son apparence habituelle, celle
d’un homme extraordinaire. Le spectre de la maladie s’était évanoui. Il
dépeignait avec passion un moment critique de son existence. Le jeu l’enivrait
d’autant plus qu’il était dur, subtil ou dangereux.
« Alors ? interrogea Silius.
— Alors il s’est produit une chose imprévisible.
Antoine est survenu, en nage, à bout de souffle. Voyant la couronne au sol, il
s’est immobilisé, l’a ramassée, a gravi les marches de la tribune et l’a posée
sur ma tête. Malédiction ! Il avait tout gâché. J’étais tellement furieux
que je l’ai ôtée et jetée par terre. Mais il fallait bien que je dise quelque
chose. Pareil événement ne pouvait se conclure de la sorte. Je me suis donc
levé, j’ai réclamé le silence d’un geste de la main et j’ai dit : “Les
Romains n’ont pas d’autre roi que Jupiter. C’est donc à lui que je dédie cette
couronne.” Un tonnerre d’applaudissements s’est ensuivi. Pendant ce temps, je
scrutais les visages de mon entourage en y cherchant de la déception.
— Et alors ?
— Je n’ai rien vu de ce genre. Mais je n’étais
certainement pas le seul à maudire le destin. Antoine a repris sa course sans
avoir deviné, je crois, ce qui s’était produit, et la cérémonie s’est achevée
de la sorte. D’où l’inscription que tu as vue dans le temple. »
Sur ces mots, César se leva et reprit son
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