Les derniers jours de Jules Cesar
de sa campagne contre les Gaulois. Elle n’était pas encore achevée, mais
il avait décidé deux ans plus tôt de la consacrer, comme pressé par l’urgence.
C’était un bâtiment magnifique, doté de trois grandes nefs
et revêtu de marbres précieux, un des présents qu’il avait voulu offrir à sa
ville. Et pas seulement. Depuis son retour d’Alexandrie, le spectacle de Rome
ne le comblait plus. La ville s’était étendue de manière disharmonieuse, les
constructions se dressaient les unes contre les autres dans un désordre souvent
indigne. On n’y voyait pas les avenues imposantes, les places majestueuses et
les monuments extraordinaires qui, à Alexandrie, faisaient l’admiration des
visiteurs du monde entier.
À leur droite, le Forum commençait à se remplir. Personne ne
reconnut César, qui avait remonté sa toge sur sa tête et dont il était malaisé
de distinguer le visage. Les deux hommes longèrent le temple de Saturne, le
dieu qui avait régné pendant l’âge d’or, âge auquel les hommes étaient
satisfaits de ce que la terre et les troupeaux leur offraient, âge où ils
vivaient dans des cabanes en bois, se réveillaient au chant des oiseaux et
allaient se coucher après avoir consommé un repas frugal en famille.
Silius se surprit à penser à l’époque qui lui avait
échu : une époque caractérisée par la férocité et l’avidité, les conflits
incessants, les luttes intestines, les massacres de citoyens perpétrés par
d’autres citoyens, les listes de proscription, les exils et les trahisons, une
époque d’affrontements furibonds. Il n’y avait pas de sentiment plus dur et
plus implacable que la haine entre frères, songea-t-il, et, tout en contemplant
le visage de César dans l’ombre de sa toge, il se demandait si un homme pouvait
vraiment être le fondateur d’une nouvelle ère. Une ère qui, une fois achevées
les luttes interminables, serait marquée par une paix assez durable pour
effacer des mémoires le sang versé et étouffer avec le temps les rancœurs les
plus tenaces. Il leva les yeux vers le temple imposant qui dominait la ville,
au sommet du mont Capitolin.
Le ciel était sombre.
Chapitre II
Il sortait par la porte principale d’Alésia sur un puissant
cheval de bataille bardé de phalères et revêtu d’une magnifique armure.
Enveloppé dans une cape rouge, César était assis sur un
siège à haut dossier, devant les fortifications du campement, entouré par ses
officiers et ses légionnaires.
Sur les remparts de la ville, une foule muette regardait
avec effroi son chef suprême capituler.
Le grand guerrier s’approcha, il tourna au pas autour de
l’homme qui l’avait vaincu puis mit pied à terre, se dépouilla de ses armes,
les jeta à ses pieds et s’assit sur le sol. Il espérait, en se livrant,
épargner sa ville et le peuple qu’il avait guidé.
Romae,
in via Sacra, Nonis Mart., hora secunda
Rome,
voie Sacrée, le 7 mars, sept heures du matin
C’était une de ces images qui l’assaillaient avec un
réalisme épouvantable, une scène si vivante qu’il était incapable de la distinguer
de la réalité physique. La voix de Silius le fit sursauter : « Tu te
sens bien, général ? »
César se tourna vers la prison Mamertine :
« Pourquoi ai-je fait tuer Vercingétorix ?
— Pourquoi y penses-tu donc ? C’est la loi, tu le
sais. Les ennemis vaincus doivent suivre le char du triomphateur avant d’être
étranglés. Il en a toujours été ainsi.
— C’est une barbarie. Les traditions… Elles devraient
indiquer des valeurs à conserver. Or, pour la seule raison quelles sont
anciennes, elles renvoient à des âges archaïques et primitifs, à des
communautés sauvages et grossières, à des coutumes féroces.
— Notre époque n’est pas meilleure, me semble-t-il.
— C’est vrai.
— Il n’existe qu’une seule loi : “Malheur aux
vaincus !” Il faut toujours s’efforcer de vaincre, tant que c’est
possible. C’est ce que tu as fait.
— Un instant, j’ai vu son fantôme : hâve, barbu,
les yeux enfoncés, le regard fou.
— Tu ne peux te raviser parce que tu es au sommet.
D’autres doivent rendre compte. Pas toi. Tu as fait ce que tu as estimé
nécessaire. Il n’y a rien à ajouter. Quand la bataille semblait perdue, en
Espagne, à Munda, nous étions prêts à mourir. Vercingétorix aurait pu se
suicider, lui aussi, et se soustraire ainsi à une mort ignominieuse. Mais
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