Les Derniers Jours de Pompéi
chambre où le mort avait été déposé. Hélas ! il ne lui avait pas été permis d’accomplir ce tendre et touchant office qui impose au plus proche parent de recueillir, s’il est possible, le dernier souffle, l’âme fugitive d’un être chéri ; mais il lui appartenait de fermer ces yeux immobiles, ces lèvres muettes ; de veiller près de cette argile sacrée qui, baignée avec soin et couverte de précieux parfums, était couchée sur un lit d’ivoire et revêtue d’habits pompeux ; il lui appartenait de joncher ce lit de verdure et de fleurs, et de renouveler la branche de cyprès devant le seuil de sa porte. Dans ces douloureux devoirs, dans ces lamentations et dans ces prières, Ione s’oublia elle-même. C’était une des coutumes les plus anciennes de l’antiquité d’enterrer un jeune homme au point du jour : car, s’étudiant à offrir les plus douces interprétations de la mort, on se figurait poétiquement que l’Aurore, qui aimait les jeunes gens, les enlevait dans ses bras comme une céleste maîtresse ; et quoique, dans cette occasion, la fable ne pût s’appliquer au prêtre assassiné, on n’en suivait pas moins l’usage {77} .
Les étoiles commençaient à abandonner une à une les cieux, qui prenaient une teinte grisâtre, et la nuit se retirait lentement devant le jour, lorsqu’un groupe sombre apparut immobile à la porte d’Ione. Des torches longues et minces, rendues plus pâles par la lueur naissante du matin, répandaient leurs lumières sur des physionomies diverses, qui avaient toutes néanmoins la même expression solennelle et attentive. Alors s’éleva une lente et triste musique, d’accord avec la cérémonie, et dont les sons retentirent à travers les rues solitaires, pendant que des femmes (ces Praeficae si souvent citées par les poètes romains), chantant en chœur, accompagnaient des paroles suivantes les flûtes tibérines et mysiennes.
CHANT DES FUNÉRAILLES
I
Sur le triste seuil où se penche
Le morne cyprès, dont la branche
Remplace la fleur des amours,
Nous voilà. Notre voix t’invite,
Sombre voyageur au Cocyte ;
Du dernier chemin suis le cours.
Des ombres le vaporeux groupe
T’attend au palais de la nuit,
Le noir fleuve emplira ta coupe,
Le fleuve qu’on passe sans bruit.
II
Dans ces lieux où le sort t’envoie,
Pour toi ni nuit ni jour de joie !
Adieu le rire et les plaisirs.
Là, tu verras les Danaïdes,
Titan et ses vautours avides,
Tantale aux impuissants désirs.
Là, Sisyphe roule sa pierre
Au haut de l’éternel rocher ;
Viens donc ! sur la sombre rivière
Déjà t’attend le vieux nocher {78} .
III
C’est là, dans ce pâle royaume,
Qu’il faut descendre, ô cher fantôme ;
Tu deviens sujet de Pluton.
Que notre amitié te protège,
Nous voulons te faire un cortège
Digne de ton rang, de ton nom :
La torche brille, impatiente,
Accours, toi qui conduis le deuil ;
Pluton ne connaît pas l’attente,
La mort t’appelle en son cercueil.
Quand le chant fut terminé, le groupe se sépara en deux, et le corps d’Apaecidès, placé sur un lit recouvert d’une tenture de pourpre, sortit de la maison les pieds devant. Le designator, ou directeur de la triste cérémonie, accompagné de ses porteurs de torches, vêtus de noir, donna le signal, et la procession s’avança solennellement.
D’abord venaient les musiciens, jouant une marche grave ; les sons mélancoliques et peu élevés des instruments étaient interrompus de temps à autre par les éclats des trompettes funéraires ; les pleureurs gagés suivaient les musiciens en chantant leurs chants funèbres ; des voix de femmes étaient mêlées à des voix d’enfants dont l’âge tendre rendait encore plus frappant le contraste de la vie et de la mort, ce qu’on aurait pu comparer à la feuille fraîche et à la feuille flétrie : mais les acteurs, les bouffons et l’archimime (dont l’office était de représenter le défunt), ces assistants des convois ordinaires, avaient été bannis des funérailles du jeune homme auxquelles se rattachaient de si douloureuses circonstances.
Les prêtres d’Isis apparaissaient ensuite, avec leurs blanches robes, nu-pieds et tenant des gerbes de blé ; on portait devant le corps les images du décédé et celles de ses ancêtres athéniens. Derrière la bière, au milieu de ses femmes, s’avançait la seule parente du mort, la tête nue, les cheveux dénoués, la figure plus pâle que le
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