Les Derniers Jours de Pompéi
sauvé, reprit l’Égyptien d’une voix douce.
– Jamais, tentateur ! s’écria Glaucus en proie à un nouvel accès de rage. Tu ne me connais pas ; tu ne connais pas l’âme superbe d’un Athénien ! La face de la mort que tu m’as présentée a pu m’effrayer un moment, mais la crainte est passée. Je ne crains que le déshonneur, qui est éternel. Quel homme voudrait avilir son nom pour sauver sa vie ? Quel homme échangerait une conscience pure pour des jours flétris ? Qui voudrait par un mensonge se vouer à la honte et mourir noirci aux yeux de la Renommée et d’Ione ? Si, pour conserver quelques jours d’une vie souillée, un homme avait cette bassesse, ne pense pas, Égyptien barbare, rencontrer cet homme chez celui qui a foulé le même sol que Harmodius, qui a respiré le même air que Socrate. Va, laisse-moi vivre sans reproche ou périr sans crainte !
– Songes-y bien… ce sont les griffes du lion que tu affrontes. Les clameurs d’une populace grossière, le regard de la foule fixé sur ton agonie et sur tes membres déchirés, ton nom dégradé, ton corps sans sépulture… la honte même que tu cherches à éviter, s’attachant à toi et pour toujours.
– Tu es en délire, tu es insensé… la honte ne réside pas dans la perte de l’estime des autres, elle réside dans la perte de notre propre estime… T’en iras-tu ? Ta présence me répugne ; ta vue me fait mal… Je t’ai toujours haï ; je te méprise maintenant.
– Je me retire, dit Arbacès, blessé et exaspéré, mais non sans quelque pitié et quelque admiration pour sa victime. Je me retire… Nous ne nous reverrons plus que deux fois : l’une au tribunal, et l’autre… le jour de ta mort. Adieu ! »
Il se leva lentement, s’entoura de son manteau et quitta la chambre. Il vint retrouver un moment Salluste, dont les yeux rougis indiquaient qu’il avait veillé en compagnie de sa coupe.
« Il n’a toujours pas sa raison, ou il est toujours obstiné, dit-il ; il n’y a plus d’espérance pour lui.
– Il ne faut pas parler ainsi », répliqua Salluste, qui ne ressentait pas une grande animosité contre l’accusateur de l’Athénien, parce qu’il ne possédait pas une grande austérité de mœurs, et qu’il était plus touché du sort de son ami que persuadé de son innocence. « Il ne faut pas parler ainsi, mon Égyptien ; un si bon buveur ne peut être condamné ! C’est une affaire à régler entre Bacchus et Isis.
– Nous verrons », dit l’Égyptien.
Les barres de fer furent tirées de nouveau et la porte se rouvrit. Arbacès sortit dans la rue, et la pauvre Nydia se releva encore une fois de sa longue veillée.
« Le sauverez-vous ? s’écria-t-elle en joignant les mains.
– Enfant, suis-moi ; je veux te parler… C’est pour lui que je te le demande…
– Mais le sauverez-vous ? »
Aucune réponse ne frappa l’oreille avide de la jeune aveugle. Arbacès s’était déjà avancé dans la rue ; elle hésita un moment, puis suivit ses pas en silence.
« Je dois mettre cette fille en lieu sûr, se dit-il à lui-même, de peur qu’elle ne donne l’éveil sur le philtre. Quant à l’orgueilleuse Julia, elle ne se trahira pas. »
Chapitre 8
Funérailles classiques
Pendant qu’Arbacès prenait toutes ces mesures, le chagrin et la mort étaient dans la maison d’Ione. C’était le lendemain matin que les funérailles solennelles devaient avoir lieu en l’honneur de la dépouille mortelle d’Apaecidès. Le corps avait été apporté du temple d’Isis chez la plus proche parente du défunt. Ione avait appris à la fois la mort de son frère et l’accusation portée contre son amant. Le premier transport de douleur qui absorbe l’esprit dans la douleur même, et le silence de ses esclaves, qui avaient peur de redoubler sa peine, ne lui avaient pas laissé l’occasion d’apprendre tous les détails du sort de Glaucus.
Elle ignorait sa maladie, son délire, le procès qui l’attendait ; elle n’avait appris que l’accusation, qu’elle avait repoussée avec une âme indignée. Dès qu’elle sut qu’Arbacès était l’accusateur, elle fut immédiatement convaincue que l’Égyptien était lui-même le criminel. Mais la grande importance que les anciens attachaient aux cérémonies funèbres d’un parent, et les soins nombreux réclamés par ces cérémonies, avaient jusqu’à ce moment emprisonné sa douleur et ses convictions dans la
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