Les Derniers Jours de Pompéi
et qu’elle demandât à la voir. Aussitôt que cette idée traversa son esprit, il dit à l’un de ses affranchis :
« Va, Callias, va trouver Sosie, et dis-lui que sous aucun prétexte il ne permette que l’esclave aveugle, Nydia, quitte sa chambre. Mais attends… Va d’abord trouver les femmes de garde auprès de ma pupille, et recommande-leur de ne pas lui dire que l’esclave aveugle est dans cette demeure. Va vite. »
L’affranchi se hâta d’obéir. Après avoir rempli sa commission près des femmes qui veillaient sur Ione, il chercha le digne Sosie. Il ne le trouva pas dans la petite cellule qui lui servait de cubiculum ; il l’appela à haute voix, et l’entendit répondre de la chambre de Nydia, où il était :
« Ô Callias, est-ce vous que j’entends ? Que les dieux soient bénis ! Ouvrez-moi la porte, je vous en prie. »
Callias ôta la barre de la porte, et vit devant lui la triste figure de Sosie.
« Quoi ! dans la chambre même de la jeune fille, avec elle, Sosie ? Pro pudor ! Comme s’il n’y avait pas assez de fruits mûrs, sans aller cueillir les boutons ?
– Ne parle pas de cette petite sorcière, interrompit Sosie avec impatience ; elle causera ma perte » ; et il conta à Callias l’histoire du démon de l’air et la fuite de la Thessalienne.
« Pends-toi donc, malheureux Sosie ; je viens justement de la part d’Arbacès avec un message pour t’annoncer que tu ne dois pas, pour un moment même, la laisser sortir de sa chambre.
– Me miserum ! s’écria l’esclave. Que puis-je faire ? Elle a eu le temps de visiter la moitié de Pompéi. Mais demain j’essayerai de la rattraper dans ses vieux gîtes. Garde-moi seulement le secret, mon cher Callias.
– Je ferai, par amitié pour toi, tout ce qui pourra se concilier avec ma propre sûreté. Mais es-tu sûr qu’elle ait quitté la maison ? Elle peut y être encore cachée.
– Cela n’est pas possible. Elle aura gagné aisément la porte du jardin, porte ouverte, comme tu le sais.
– Peut-être pas : car, à l’heure dont tu parles, Arbacès était dans le jardin avec le prêtre Calénus. Je suis allé chercher quelques herbes pour le bain que mon maître doit prendre demain matin. J’ai vu la table que tu avais mise, mais la porte était fermée. J’en suis sûr. Calénus est entré dans le jardin ; il aura fermé la porte après lui.
– Mais elle n’était pas fermée à clef.
– Elle l’était : car moi-même, contrarié d’une négligence qui pouvait exposer les bronzes du péristyle à la tentative de quelque voleur, j’ai tourné la clef et je l’ai emportée ; et, comme je n’ai pas rencontré l’esclave chargé de ce soin pour la lui remettre et le gronder comme il faut, je l’ai gardée, et la voilà à ma ceinture.
– Ô généreux Bacchus, je ne t’ai pas adressé une vaine prière. Ne perdons pas un moment. Parcourons le jardin sur-le-champ ; elle doit y être encore. »
Callias, d’un bon naturel, consentit à suivre l’esclave, et, après maintes recherches dans toutes les chambres voisines et dans tous les coins du péristyle, ils entrèrent dans le jardin.
C’était à peu près le moment où Nydia s’était décidée à quitter sa cachette et à chercher son chemin. Légère et tremblante, retenant sa respiration qui, de temps à autre, se révélait par de petits soupirs convulsifs, tantôt se glissant à travers les colonnes entourées de guirlandes de fleurs qui bordaient le péristyle, tantôt faisant ombre aux rayons de la lune qui tombaient sur le pavé de mosaïque, tantôt montant la terrasse du jardin, ou passant à travers les branches des arbres, elle arriva à la fatale porte pour la trouver fermée. Nous avons tous été témoins de l’impression de douleur, d’incertitude et de crainte qui se peint sur la physionomie d’un aveugle, lorsqu’en voulant toucher quelque chose sa main éprouve un désappointement, si je puis m’exprimer ainsi. Mais quelles paroles pourraient donner une idée de l’intolérable angoisse, de la douleur d’un cœur entier qui se brise, du désespoir de la Thessalienne ? Ses petites mains tremblantes parcouraient dans tous les sens la porte inexorable. Elle y revenait sans cesse. Pauvre créature !… en vain ton noble courage, ton innocente ruse avaient espéré échapper aux chiens et aux chasseurs. À peu de distance de toi, riant de tes efforts, de ton désespoir, sachant que tu ne peux leur
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