Les Derniers Jours de Pompéi
jusqu’alors, il se hasarda à paraître devant elle. Il trouva sa belle pupille assis auprès d’une petite table et la figure appuyée sur ses deux mains, dans l’attitude de la méditation. Cependant sa physionomie n’était pas animée comme à l’ordinaire par cette brillante expression de douce intelligence qui la faisait ressembler à Psyché ; ses lèvres étaient entrouvertes, ses regards vagues et incertains, et ses longs cheveux noirs, tombant négligemment sur son cou, ajoutaient à la pâleur de ses joues, qui avaient déjà perdu la rondeur de leurs contours.
Arbacès la contempla un moment avant de s’avancer. Elle leva les yeux, et, lorsqu’elle reconnut son visiteur, elle les détourna avec une expression de douleur, mais elle ne bougea pas.
« Ah ! dit Arbacès à voix basse et d’un air plein d’intérêt, en s’approchant et en s’asseyant respectueusement à quelque distance de la table ; ah ! si mon amour pouvait conjurer ta haine, je mourrais avec joie. Tu me juges mal, Ione ; mais je supporterai l’injure que tu me fais sans murmurer, pourvu que tu me laisses te voir quelquefois. Fais-moi mille reproches, accable-moi de tes mépris, si tu le veux ; je m’efforcerai de les souffrir. Les plus amères paroles de ta bouche me sont plus douces encore que le son du luth le plus harmonieux. Dans ton silence, le monde semble pour moi s’arrêter… une cruelle stagnation engourdit les veines de la terre… il n’y a plus ni terre ni vie, sans la lumière de ton visage et la mélodie de ta voix.
– Rends-moi mon frère et mon fiancé ! » dit Ione d’un ton de voix calme, mais suppliant, et quelques larmes glissèrent le long de ses joues.
« Plût aux dieux que je pusse te rendre l’un et sauver l’autre ! reprit Arbacès avec une apparente émotion. Ione, pour te voir heureuse, je renoncerais à mon amour fatal et je joindrais ta main à celle de l’Athénien. Peut-être sortira-t-il triomphant du procès. (Arbacès avait empêché qu’on ne l’instruisît que le procès était commencé). S’il en est ainsi, tu es libre de le juger et de le condamner toi-même, et ne pense plus, Ione, que je veuille te prier plus longtemps de m’aimer. Je reconnais que mon espoir est vain. Laisse-moi seulement pleurer, gémir avec toi. Pardonne une violence dont je me repens sincèrement et que tu n’as plus à craindre. Laisse-moi redevenir ce que j’étais pour toi, un ami, un père, un protecteur. Ah ! Ione, épargne-moi, accorde-moi ton pardon !
– Je vous pardonne ; sauvez Glaucus, et je renoncerai à lui. Ô grand Arbacès, vous êtes puissant dans le bien comme dans le mal ; sauvez l’Athénien, et la pauvre Ione ne le verra plus. »
À ces mots, elle se leva, faible et tremblante, se soutenant à peine, tomba à ses genoux et les embrassa.
« Oh ! si tu m’aimes réellement, si tu es humain, souviens-toi des cendres de mon père ; souviens-toi de mon enfance, songe à ces heures que nous avons passées ensemble, et sauve mon Glaucus. »
D’étranges convulsions agitèrent tout le corps de l’Égyptien ; ses traits bouleversés exprimèrent son trouble ; il détourna sa figure et répondit d’une voix creuse :
« Si je pouvais le sauver encore, je le ferais ; mais les lois romaines sont très sévères : cependant, si je réussissais, si je le rendais à la liberté, m’appartiendrais-tu, serais-tu à moi ?
– À toi ! répéta Ione en se levant ; à toi ! ton épouse !… Le sang de mon frère n’est pas vengé ! Qui l’a tué ? Ô Némésis, puissé-je échanger pour le salut de Glaucus ta divine mission ? À toi jamais !
– Ione, Ione, s’écria Arbacès avec passion, pourquoi ces mots mystérieux ? Pourquoi unis-tu mon nom avec la pensée de la mort de ton frère ?
– Mes songes unissent ces deux choses, et les songes viennent des dieux.
– Vaines fantaisies alors. C’est pour des songes que tu fais tort à un innocent, et que tu hasardes de perdre la seule chance que tu aies de sauver ton amant.
– Écoute-moi, dit Ione en parlant avec fermeté et d’une voix solennelle autant que résolue ; si Glaucus est sauvé par toi, je jure de n’entrer jamais dans sa maison comme épouse. Mais je ne puis surmonter l’horreur que m’inspireraient d’autres noces. Je ne puis t’épouser… Ne m’interromps pas. Écoute, Arbacès. Si Glaucus meurt, le même jour je défie tous tes artifices. Je ne laisse que ma
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